Visite du chancelier Adenauer à la Boisserie, le 14 septembre 1958

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Présentation 

La photographie de presse anonyme de l’agence parisienne Keystone présente l’arrivée de Konrad Adenauer, le chancelier allemand âgé de 82 ans, le 14 septembre 1958, à La Boisserie, demeure familiale du général de Gaulle à Colombey-les-Deux-Églises. Cette visite privée est la première rencontre entre les deux hommes qui a été soigneusement préparée et médiatisée. C’est un geste politique sans précédent qui inaugure une véritable amitié.

Contextualisation

Alors que la construction européenne économique s’impose après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe politique peine à se construire. Après la fondation de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier), première communauté européenne supranationale fondée le 18 avril 1951 suite à la déclaration Schuman, l’échec en 1954 du projet de Communauté européenne de défense (CED) freine la construction politique de l’Europe. La relance de l’intégration européenne se fait par l’économie. Les traités de Rome de 1957 instituent la CEE (Communauté économique européenne) qui regroupe les six membres de la CECA (Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas et  RFA) dans l’ambition d’une union économique de ses membres d’un même ensemble.  Ils marquent également la création du « Marché commun »  une zone de libre-échange européenne.

De Gaulle, revenu au pouvoir en mai 1958, ne remet pas en cause la construction européenne, lui qui s’était opposé vivement à la CECA et à la CED. La CEE lui apparaît être le lieu privilégié de l’unification européenne. Il considère d’ailleurs que le Marché commun est un moyen de relever et moderniser l’économie française. Il ne souhaite pas non plus provoquer l’isolement de la France dans les conditions politiques difficiles de la guerre d’Algérie et de la Guerre froide.  L’intérêt de la France, dans sa volonté de paix et de réconciliation, rejoint ainsi la construction européenne.

Analyse

Après deux guerres mondiales, la réconciliation franco-allemande est un véritable défi. De Gaulle et Adenauer ont chacun des ambitions politiques qui vont converger : le chancelier estime que la solidarité franco-allemande doit être la base de la construction de l’Europe, occasion unique de ramener la RFA sur la scène diplomatique, tout en comprenant la méfiance de l’opinion française envers l’Allemagne et sa crainte qu’elle retrouve sa puissance.

Pour sa part, de Gaulle, considère que le cadre européen permet le relèvement allemand tout en garantissant la sécurité de la France et en préservant la RFA de l’influence des Etats-Unis. De Gaulle, pragmatique, est en position de supériorité. La RFA, première puissance économique européenne, est un Etat vaincu de 1945 et  sa souveraineté est limitée. La France pourrait ainsi prendre la tête d’une « petite Europe »  des Six en s’appuyant sur elle.

La rencontre, sous forme de conversation directe,  est l’occasion d’un échange de vues général autour de trois thèmes. Tout d’abord, la RFA est reconnue pleinement comme partenaire privilégié de la France, moyen d’apporter équilibre et sécurité à l’Europe. Ensuite, de Gaulle  fait la promesse de la mise en œuvre du Traité de Rome et  souhaite une « concertation régulière sur toutes les questions politiques…, en somme une série de progrès décisifs vers l’union du continent ». Ces perspectives vont au-delà de ce qu’attendait  Adenauer. Enfin, les deux hommes s’accordent sur la nécessité de l’Alliance atlantique et se rejoignent dans leur anticommunisme.

La rencontre de Colombey est présentée par de Gaulle comme un acte fondateur. Le couple franco-allemand devient le moteur de la construction européenne.

Ressources complémentaires :

Bibliographie 

Konrad Adenauer, Erinnerungen, 4 tomes, Stuttgart, DVA, 1965-1968.

Pierre Maillard, De Gaulle et l’Allemagne. Le rêve inachevé, Paris, Plon, 1990.

Henri Ménudier, (dir.), Le couple franco-allemand en Europe, Asnières, Publications de l’Institut d’Allemand d’Asnières, 1993.

Maurice Vaïsse, La grandeur. Politique étrangère du général de Gaulle, 1958-1969, Paris, Fayard, 1998.

 

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