Reportage : Le congrès de fondation du RPR (8’18)

Capture d'écran du reportage vidéo sur le congrès de Fondation du RPR

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Présentation

Extrait d’un reportage effectué par Jacques Segui, grand reporter et journaliste, pour le journal télévisé d’Antenne 2. Ce reportage est diffusé durant le journal de 13 heures, le samedi 11 décembre 1976, et relate longuement la naissance du Rassemblement pour la République le dimanche 5 décembre précédent, en reprenant des images provenant de trois moments majeurs du congrès fondateur.

Contextualisation

Le 25 août 1976, Jacques Chirac, alors premier ministre UDR (Union des démocrates pour la République) de Valéry Giscard d’Estaing issu des rangs du FNRI (Fédération nationale des républicains et indépendants – issu d’une scission avec le CNIP) démissionne puisqu’il « ne dispose pas des moyens qu’[il] estime nécessaires pour assumer efficacement les fonctions de Premier ministre et, dans ces conditions, [il a] décidé d’y mettre fin. »  Cette démission s’inscrit dans la suite des résultats catastrophiques pour la droite parlementaire lors des cantonales de mars 1976 puisque les indépendants du président Giscard d’Estaing regroupent 8,53% des voix et l’UDR du premier ministre Chirac 10,61% des voix seulement (restant malgré tout le premier parti de droite) tandis que la gauche parlementaire s’octroie 26,6% des voix pour le PS et 22,8% des voix pour le PCF. Les divergences entre les deux figures de l’exécutif se creusent et Jacques Chirac estime nécessaire de réformer la droite gaulliste en rénovant les structures partidaires.

Analyse

Selon Florence Haegel, « la transformation de l’UDR en RPR est marquée à la fois par la perte du pouvoir présidentiel et des ressources afférentes et un contexte d’exacerbation de la concurrence signalé par l’affirmation et l’unification du courant libéral giscardien. (…) S’agissant du processus de transformation partisane proprement dit, la création du RPR s’est appuyée sur le contrôle du groupe parlementaire, le ralliement des « députés de base » et des « hommes d’appareil » à l’entreprise chiraquienne. » Il est vrai que le nouveau parti fondé le 5 décembre 1976 par Jacques Chirac se place immédiatement en opposition avec le gouvernement dirigé par Raymond Barre considéré comme trop libéral, c’est-à-dire menant une politique économique dans laquelle l’État n’intervient pas suffisamment ; Chirac et ses collègues du RPR se plaçant alors dans l’héritage gaulliste de la nécessaire intervention de l’État dans l’économie.

L’héritage gaulliste est pleinement revendiqué lors du congrès de fondation du RPR le 5 décembre, comme le montre parfaitement les images issues du reportage. L’arrivée de Jules Guichard (4’31 à 4’32), alors ministre d’État et Garde des Sceaux UDR dans le gouvernement Barre, dans la salle après que le journaliste lui ait demandé son avis sur l’absence de Jacques Chaban-Delmas montre la première tribune d’honneur placée sous les auspices du portrait du général de Gaulle et de Georges Pompidou (comme le montre l’interview de Jean de Préaumont – 6’19 à 6’39), de la croix de Lorraine et du logo orangé de l’UDR. Le cameraman et le monteur ont ensuite pris soin de filmer le discours réalisé à la tribune par Michel Debré (4’34 à 4’46) en le plaçant sous le regard de De Gaulle et de filmer de nouveau le portrait du Général au moment où la foule acclame Jacques Chirac en scandant son nom (6’39 à 6’41) et qu’est dévoilé le nouveau nom (Rassemblement pour la République) et le nouveau logo (le bonnet phrygien rouge et cocardé surmonté d’une croix de lorraine) du parti (6’41 à 6’52). Pourtant, une fois mis en place, ce nouveau nom et ce nouveau logo, les portraits des figures tutélaires ont disparu du décor situé derrière la tribune d’honneur (1’37 à 1’40) laissant place à une immense croix de Lorraine.

Cet héritage gaulliste est aussi revendiqué par les supporters de Jacques Chirac qui dans la rue agitent des drapeaux tricolores frappées de la croix de Lorraine tréflée qui reprend explicitement celle utilisée dans le logo du RPF, le parti fondé par Charles de Gaulle en 1947 (1’40 à 2’02). Dans la salle, le lien entre adhésion au RPR et gaullisme est sans équivoque comme le montre un échange entre le journaliste et un militant présent (3’53 à 4’10) : l’interviewé déclare « j’ai adhéré à l’UDR il y a deux ans », le journaliste poursuit en disant « vous étiez gaulliste, vous êtes gaulliste, vous êtes RPR depuis aujourd’hui » et l’interviewé de répondre : « je le confirme, je suis RPR depuis aujourd’hui. »

Ensuite, l’héritage gaulliste se perçoit dans les personnalités qui interviennent à la tribune ou qui sont présentes dans la salle – et suffisamment connues pour être longuement interviewé par les journalistes : Olivier Guichard (4’16 à 4’33), considéré comme l’un des barons du gaullisme et un des piliers du RPF ; Michel Debré (4’34 à 4’47), l’un des pères de la Constitution de la Cinquième République ; Maurice Couve de Murville (4’52 à 6’08), l’ancien Premier ministre du général de Gaulle après les événements de mai 1968 ; Jean de Préaumont (6’10 à 6’38 puis de 7’44 à 7’58), député UD-Ve puis UDR depuis 1961 ; Claude Labbé (7’19 à 7’44), député UNR, UD-Ve puis UDR de 1958 à 1962 puis depuis 1967 et président du groupe UDR à l’Assemblée nationale depuis 1973).

Enfin, cet héritage gaulliste se voit premièrement dans la gestuelle chiraquienne (0’10 à 0’37 puis de 8’13 à 8’16), notamment avec ses saluts, les bras levés qui rappellent la gestuelle gaullienne durant les discours et les visites officiels, et dans la culture politique, tout particulièrement celle du chef incontesté et incontestable. Si, lors de la fondation du RPF, la question du choix du chef ne s’est pas posée, il en semble de même en 1976 lors de la fondation du RPR, bien que Jean de Préaumont cherche d’abord à nous faire croire le contraire en précisant qu’il « croit que c’est une structure [le RPR] qui, à [son] avis, allie des motifs de légitimité (élection) » (6’10 à 6’17) alors que l’élection évoquée est biaisée puisque seul Jacques Chirac est candidat à la présidence du nouveau parti comme le souligne à la tribune le même Jean de Préaumont (7’40 à 8’03). Ensuite, le même Jean de Préaumont considère que le RPR est une structure ayant « des motifs d’efficacité, c’est-à-dire un ensemble cohérent entre le président et ceux qui font les choses pour lui » (6’17 à 6’24), un peu à l’image de la conception du chef de l’État en la République ; cette phrase est aussi un moyen de jeter un caillou dans le jardin du président Giscard d’Estaing. Enfin, Jean de Préaumont souligne que le RPR a été fondé pour redonner à la France « les moyens de son autodétermination politique » (6’28 à 6’38) abordant ainsi un thème cher à de Gaulle durant toute sa présidence : la souveraineté nationale.

L’héritage gaulliste est donc largement assumé et revendiqué comme pourrait le prouver le choix du nom RPR (Rassemblement pour la République) qui est le nom de parti gaulliste le plus proche du parti gaulliste originel (RPF – Rassemblement du peuple français) depuis 1955 (voir document complémentaire et la rhétorique puisque le début du reportage commence par les derniers mots du discours de Jacques Chirac : « Peuple, une fois encore debout et rassemblé. Vive la République et vive la France » (0’00 à 0’08) quand l’orateur reprend en quelques mots des thématiques situées au cœur de la rhétorique gaullienne. Pourtant, ce même héritage gaulliste ne transparaît que moyennement dans le choix du logo effectué en 1976 ; ce bonnet phrygien rouge, cocardé, surmonté d’une croix de Lorraine bleue stylisée. Certes la croix de Lorraine est là mais la présence du bonnet phrygien rappelle fortement le logotype officiel du MRP (1944-1967), le parti démocrate-chrétien dont les membres sont largement issus des rangs de la résistance, mais une résistance qui souhaite s’affranchir de la figure tutélaire gaullienne. Peut-être est-ce là une volonté de faire synthèse et de rassembler au plus large du spectre politique de la droite parlementaire au centre-droit afin de déborder Valéry Giscard d’Estaing. En 1991, le changement de logo du RPR revient vers des codes plus gaulliens : la croix de Lorraine est plus visible, les couleurs nationales sont portées haut ; un peu comme dans le logotype du RPF.

Ressources complémentaires :

Bibliographie

Jean-Jacques Becker, Crises et alternances, 1974-1995, Nouvelle histoire de la France contemporaine n°19, Seuil, Paris, 1998

Serge Berstein, René Rémond, Jean-François Sirinell (dir.), Les années Giscard : institutions et pratiques politiques, 1974-1978, Paris, Fayard, coll. « Nouvelles études contemporaines », 2003

Annie Collovald, Jacques Chirac et le gaullisme, Paris, Belin, 1999

Annie Collovald, « Le fabuleux destin de Jacques Chirac ou les mésaventures de la démagogie politique », Mouvements, vol. 23, n° 4, 2002, pp. 123-130

Michel Offerlé, « Transformation d’une entreprise politique : de l’UDR au RPR (1973-1977) », Pouvoirs, n° 28, 1984, pp. 5-26

Hugues Portelli, « La Ve République et les partis », Pouvoirs, vol. 126, n° 3, 2008, pp. 61-70

Sitographie

http://www.ina.fr/video/CAB7601351101

 

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