La délégation allemande avait instruction de tout faire pour aider au progrès du projet. La position italienne […] souhaitait nous faire avancer le plus loin possible sur la voie de la supranationalité. Le général de Gaulle, quant à lui, s’était toujours opposé à cette thèse ; il l’estimait utopique ; mais il exprimait clairement le désir de voir l’Europe prendre une consistance politique qui lui permettrait d’avoir plus de poids dans les affaires du monde, grâce à une Confédération des nations […] la position hollandaise était la suivante : tout ceci n’est pas assez supranational et ne se considérait pas comme réellement engagée tant que la Grande Bretagne ne ferait pas partie de l’affaire. […] C’est dans ces conditions que je fus amené à proposer un projet de traité définissant, sous le nom d’Union d’Etats, les bases réelles d’une confédération ouverte sur l’avenir. […] Nous avions le sentiment que le premier prétexte venu risquait de mener à la rupture. Le moins raisonnable des prétextes y servit : quelques amendements proposés par la France. Paradoxalement, les partisans de la plus forte communauté politique parurent soudain vouloir limiter le plus les pouvoirs de l’organisme européen qu’il s’agissait de construire. Non seulement, ils semblaient vouloir les subordonner à un traité signé par une nation après l’autre et non par l’Europe, en tant que telle, mais bien plus, ils entendaient priver l’organisme européen de tout pouvoir économique. […] Une espérance était morte, une occasion perdue.

Titre : 1961, l’échec du Plan Fouchet 

Source : Christian Fouchet, Mémoires d’hier et de demain, Paris, Plon,1971

© Editions Plon, 1971

Présentation

Christian Fouchet, (1911-1974), un proche du général de Gaulle et ambassadeur de France à Copenhague depuis 1958, présente dans ses Mémoires écrites en 1971, avec le recul d’une décennie, l’échec du plan proposé par le général de Gaulle et qui porte son nom. En effet, acteur historique, il a présidé la Commission européenne, l’institution exécutive de la Communauté économique européenne proposant des textes législatifs et en veillant à leur application. Il rappelle ici la vision de De Gaulle à laquelle il adhère.

Contextualisation

Le contexte international est tendu. Il est dominé par la permanence de la guerre froide et les crises internationales. John Fitzgerald Kennedy, président des Etats-Unis depuis le 20 janvier 1961 a rencontré Khrouchtchev à Vienne les 3 et 4 mai 1961. L’édification du Mur dans la nuit du  12 au 13 août 1961 attise la crise de Berlin ouverte depuis 1958.

Or, de Gaulle tente depuis 1960, dans le but d’équilibrer les deux superpuissances et de leur faire face, de convaincre ses partenaires européens de construire une Europe politique indépendante  et confédérale. Cette proposition est faite lors de la réunion franco-allemande de Rambouillet les 29 et 30 juillet 1960. De Gaulle veut diminuer le rôle de différentes Hautes autorités ou Commissions  et les subordonner aux gouvernements. Les peuples seront consultés par référendum, ce qui permettra de donner à cette Europe « le caractère d’une création populaire décisive ». De Gaulle préconise également que la défense de l’Europe, alliée de « l’Amérique » soit assurée dans le cadre d’une autre OTAN, ce qui signifie ainsi la fin de l’Alliance atlantique. Enfin, le couple franco-allemand serait prééminent dans cette nouvelle architecture européenne. Le projet est mal accueilli par les partenaires européens et plus particulièrement par les Néerlandais qui s’opposent aux consultations politiques et militaires sans le Royaume-Uni et hors de l’OTAN. Les Néerlandais s’effraient également de la primauté du couple franco-allemand. Pour surmonter ces désaccords, il est alors décidé de constituer une commission présidée par Christian Fouchet.

Analyse

Dans ce cadre, la France présente le 19 octobre 1961  l’« Union d’États », une « Confédération des nations » selon Christian Fouchet ou le Plan Fouchet I qui reprend les propositions  de 1960 du Général sans remettre en cause l’Alliance atlantique. Ce plan vise à construire l’Europe selon le mode confédéral, fondé « sur le respect de la personnalité des peuples et des États membres ».  Il envisage une politique commune de défense. Les réactions sont plutôt favorables, l’Allemagne soutient le projet. L’idée d’une défense européenne est approuvée par les gouvernements allemand et italien, à condition de la faire dans le cadre de l’Alliance atlantique. L’Italie, la Belgique et les Pays-Bas, pour leur part, craignent un directoire des grands pays et réclament la supranationalité.

Mais brusquement de Gaulle modifie durement  « par quelques amendements » et unilatéralement le texte le 18 janvier 1962.  C’est le Plan Fouchet II qui supprime la référence à l’Alliance atlantique et projette de confier à l’Union des compétences économiques a priori réservées aux Communautés. Le plan inquiète également par ses visées anti-américaines.

Trois principes selon Fouchet sont prétextes au refus : l’élection au suffrage universel de l’Assemblée, le conflit de compétences entre les Communautés existantes et le projet de confier à l’Union des compétences économiques qui sont réservées aux communautés, augurant leur subordination. Ces principes sont fondamentaux pour les partenaires, car ils mettent en cause les fondements même de l’union. Les Belges et les Néerlandais demandent la signature de chacun des partenaires, alors qu’ils sont partisans d’une solution supranationale et refusent de conclure le traité  politique avant l’adhésion du Royaume-Uni au Marché commun. Devant la méfiance de tous, le plan Fouchet II  est rejeté le 17 avril 1962. Christian Fouchet porte ici un regard amer sur l’impossibilité qu’ont les partenaires européens de trouver un consensus. Cet échec entraine une série de crises conséquentes du désaccord sur le processus d’unification européenne et conduit à un renforcement des relations franco-allemandes.

Ressources complémentaires :

Bibliographie

Dominique Barjot, (dir.), Penser et construire l’Europe (1919-1992), Paris, Éditions Sedes, 2007.

Gérard Bossuat, Faire l’Europe sans défaire la France, Bruxelles, P.I.E-Peter Lang, 2006.

Sylvain Schirmann, (dir.), Penser et construire l’Europe (1919-1992), États et opinions nationales face à la construction européenne, Paris, Éditions Sedes, 2007.

Georges-Henri Soutou, « Le général  de Gaulle et le plan Fouchet », dans De Gaulle en son siècle, t. 5, l’Europe, Paris, Plon, 1992.

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