L’indépendance française selon de Gaulle
Quelque chose vient de se transformer quant au rôle international de la France. Car ce rôle, tel que je le conçois, exclut la docilité atlantique que la République d’hier pratiquait pendant mon absence. Notre pays est, suivant moi, en mesure d’agir par lui-même en Europe et dans le monde, et il doit le faire parce que c’est là, moralement, un moteur indispensable à son effort. Cette indépendance implique, évidemment, qu’il possède pour sa sécurité, les moyens modernes de la dissuasion. Eh bien ! Il faut qu’il se les donne !
Mon dessein consiste donc à dégager la France, non pas de l’Alliance atlantique que j’entends maintenir à titre d’ultime précaution, mais de l’intégration réalisée par l’OTAN sous commandement américain ; à nouer avec chacun des Etats du bloc de l’Est et, d’abord, avec la Russie des relations visant à la détente, puis à l’entente et à la coopération ; à en faire autant, le moment venu, avec la Chine ; enfin, à nous doter d’une puissance nucléaire telle que nul ne puisse nous attaquer sans risquer d’effroyables blessures.
Mais, ce chemin, je veux le suivre à pas comptés, en liant chaque étape à l’évolution générale et sans cesser de ménager les amitiés traditionnelles de la France.
Titre : L’indépendance française
Source : Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir, tome 1, le Renouveau, Paris, Plon, 1970
© Editions Plon, 1970
Présentation
Les Mémoires d’espoir du général de Gaulle couvrent la période postérieure à son retour au pouvoir en 1958. Ces mémoires paraissent, inachevés, en 1970, et constituent un témoignage a posteriori des événements. Ils sont aussi une légitimation de la politique du Général, à la fois acteur, témoin et narrateur de l’Histoire.
Contextualisation
Durant la Guerre froide, la diplomatie française s’aligne sur celle des États-Unis. La France adhère à l’Alliance atlantique et accepte le leadership américain. Mais dès 1958, Charles de Gaulle entend mener une « politique de grandeur » qui implique l’indépendance vis-à-vis des États-Unis, sans pour autant renier l’Alliance atlantique, et conduit au développement d’un arsenal nucléaire autonome.
Analyse
Concision et rigueur caractérisent ce texte. Le Général emploie une première phrase brève, explicitée ensuite par une succession de phrases développées dans un procédé typique de la phraséologie gaullienne. Le rythme ternaire caractéristique de son style lui permet d’introduire le triptyque « détente, entente, coopération » qui résume sa politique à l’égard du bloc de l’Est. Mais cet extrait n’est pas exempt d’emphase et de solennité : l’interjection « Eh bien ! » conclut ainsi le premier paragraphe. Entre sobriété et grandiloquence, le Général expose ses réflexions au sujet de la place qu’il entend donner à la France dans le monde. De Gaulle veut assurer la cohésion du peuple français par le développement d’un sentiment national de grandeur et de puissance. Il mène une politique extérieure indépendante de celle des États-Unis : reconnaissance de la Chine communiste (1964), relations directes avec l’URSS et condamnation de la guerre du Vietnam. Il entend garantir l’indépendance militaire de la France : la première bombe atomique française explose en 1960. La France reste membre de l’Alliance atlantique mais de Gaulle annonce le retrait du commandement intégré de l’organisation du traité de l’atlantique nord (OTAN) en 1966.
Ressources complémentaires :
Bibliographie
Serge Berstein, « Le Gaullisme », La documentation photographique, Paris, La documentation Française, n° 8050, 2006.
Christian Delacroix, Michelle Zancarini-Fournel, La France du temps présent, 1945 2005, Paris, Belin, 2014.
Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir, Le renouveau, Paris, Plon, 1970.