Loi constitutionnelle du 6 novembre 1962
Le prĂ©sident de la RĂ©publique, conformĂ©ment aux dispositions de lâarticle 11 de la Constitution, a soumis au rĂ©fĂ©rendum,
Le peuple français, ainsi quâil ressort de la proclamation faite le 6 novembre 1962 par le Conseil constitutionnel des rĂ©sultats du rĂ©fĂ©rendum, a adoptĂ©,
Le président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
Article premier.
Lâarticle 6 de la Constitution est remplacĂ© par les dispositions suivantes :
« Art. 6. Le prĂ©sident de la RĂ©publique est Ă©lu pour sept ans au suffrage universel direct. Les modalitĂ©s dâapplication du prĂ©sent article sont fixĂ©es par une loi organique. »
Article 2.
Lâarticle 7 de la Constitution est remplacĂ© par les dispositions suivantes :
« Art. 7. Le prĂ©sident de la RĂ©publique est Ă©lu Ă la majoritĂ© absolue des suffrages exprimĂ©s. Si celle-ci nâest pas obtenue au premier tour de scrutin, il est procĂ©dĂ©, le deuxiĂšme dimanche suivant, Ă un second tour. Seuls peuvent sây prĂ©senter les deux candidats qui, le cas Ă©chĂ©ant aprĂšs retrait de candidats plus favorisĂ©s, se trouvent avoir recueilli le plus grand nombre de suffrages au premier tour.
Le scrutin est ouvert sur convocation du gouvernement.
LâĂ©lection du nouveau prĂ©sident a lieu vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus avant lâexpiration des pouvoirs du prĂ©sident en exercice.
En cas de vacance de la PrĂ©sidence de la RĂ©publique pour quelque cause que ce soit, ou dâempĂȘchement constatĂ© par le Conseil constitutionnel saisi par le gouvernement et statuant Ă la majoritĂ© absolue de ses membres, les fonctions du prĂ©sident de la RĂ©publique, Ă lâexception de celles prĂ©vues aux articles 11 et 12 ci-dessous, sont provisoirement exercĂ©es par le prĂ©sident du SĂ©nat et, si celui-ci est Ă son tour empĂȘchĂ© dâexercer ces fonctions, par le gouvernement.
En cas de vacance ou lorsque lâempĂȘchement est dĂ©clarĂ© dĂ©finitif par le Conseil constitutionnel, le scrutin pour lâĂ©lection du nouveau prĂ©sident a lieu, sauf cas de force majeure constatĂ© par le Conseil constitutionnel, vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus aprĂšs lâouverture de la vacance ou la dĂ©claration du caractĂšre dĂ©finitif de lâempĂȘchement.
Il ne peut ĂȘtre fait application ni des articles 49 et 50 ni de lâarticle 89 de la Constitution durant la vacance de la PrĂ©sidence de la RĂ©publique ou durant la pĂ©riode qui sâĂ©coule entre la dĂ©claration du caractĂšre dĂ©finitif de lâempĂȘchement du prĂ©sident de la RĂ©publique et lâĂ©lection de son successeur. »
Article 3.
Lâordonnance n° 58-1064 du 7 novembre 1958 portant loi organique relative Ă lâĂ©lection du prĂ©sident de la RĂ©publique est remplacĂ©e par les dispositions suivantes ayant valeur organique :
- – Quinze jours au moins avant le premier tour du scrutin ouvert pour lâĂ©lection du prĂ©sident de la RĂ©publique, le gouvernement assure la publication de la liste des candidats.
Cette liste est prĂ©alablement Ă©tablie par le Conseil constitutionnel au vu des prĂ©sentations qui lui sont adressĂ©es, dix-huit jours au moins avant le premier tour de scrutin, Ă titre individuel ou collectif, par au moins cent citoyens membres du Parlement, membres du Conseil Ă©conomique et social, conseillers gĂ©nĂ©raux ou maires Ă©lus. Une candidature ne peut ĂȘtre retenue que si, parmi les cent signataires de la prĂ©sentation, figurent des Ă©lus dâau moins dix dĂ©partements ou territoires dâoutre-mer diffĂ©rents.
Le Conseil constitutionnel doit sâassurer du consentement des personnes prĂ©sentĂ©es.
Le nom et la qualité des citoyens qui ont proposé les candidats inscrits sur la liste ne sont pas rendus publics.
- – Les opĂ©rations Ă©lectorales sont organisĂ©es selon les rĂšgles fixĂ©es par les articles 1er Ă 52, 54 Ă 57, 61 Ă 134, 199 Ă 208 du code Ă©lectoral.
III. – Le Conseil constitutionnel veille Ă la rĂ©gularitĂ© des opĂ©rations et examine les rĂ©clamations dans les mĂȘmes conditions que celles fixĂ©es pour les opĂ©rations de rĂ©fĂ©rendum par les articles 46, 48, 49 et 50 de lâordonnance 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel arrĂȘte et proclame les rĂ©sultats de lâĂ©lection qui sont publiĂ©s au Journal officiel de la RĂ©publique française dans les vingt-quatre heures de la proclamation.
- – Tous les candidats bĂ©nĂ©ficient de la part de lâĂtat des mĂȘmes facilitĂ©s pour la campagne en vue de lâĂ©lection prĂ©sidentielle.
- – Un rĂšglement dâadministration publique fixe les modalitĂ©s dâapplication des prĂ©sentes dispositions organiques ; il dĂ©termine notamment le montant du cautionnement exigĂ© des candidats et les conditions de la participation de lâĂtat aux dĂ©penses de propagande. Les candidats qui nâont pas obtenu au moins 5 p. 100 des suffrages exprimĂ©s ne peuvent obtenir le remboursement ni le cautionnement des dĂ©penses de propagande.
Titre : Loi constitutionnelle n°62-1292 du 6 novembre 1962
Source :Â www.conseil-constitutionnel.fr
© Journal officiel de la République française
Présentation
Ce texte de loi constitutionnelle paraĂźt au Journal officiel de la RĂ©publique française le 6 novembre 1962 et modifie la Constitution ainsi que le code Ă©lectoral au sujet de lâĂ©lection du prĂ©sident de la RĂ©publique. Ă compter de 1962, les Ă©lections prĂ©sidentielles se dĂ©rouleront au suffrage universel direct.
Contextualisation
Quand ce texte de loi est publiĂ© au JORF, câest la premiĂšre fois depuis 1939 que la France nâest plus en guerre. Dâailleurs, tout le processus de construction de cette modification constitutionnelle sâeffectue aprĂšs la signature des accords dâEvian du 18 mars 1962, mĂȘme si Charles de Gaulle prĂŽne depuis longtemps dans ses discours, programmes politiques, etc. pour un renforcement de la lĂ©gitimitĂ© et de la fonction prĂ©sidentielles.
Analyse
Le 16 janvier 1962, les dirigeants des principaux partis non gaullistes (en dehors du PCF) sâaccordent pour prĂ©parer lâaprĂšs-de-Gaulle en sâattaquant Ă la politique critique du gĂ©nĂ©ral de Gaulle au regard de lâintĂ©gration Ă©conomique europĂ©enne â de Gaulle Ă©tant un opposant fervent Ă lâidĂ©e dâun fĂ©dĂ©ralisme europĂ©en â et de lâintĂ©gration militaire atlantique. Ces dirigeants de partis français reçoivent alors le soutien de plusieurs gouvernements alliĂ©s, qui se traduit par la rupture dĂ©finitive des nĂ©gociations sur le plan Fouchet, le 17 avril 1962. En effet, le plan Ă©laborĂ© par une commission intergouvernementale prĂ©sidĂ©e par Christian Fouchet, un diplomate trĂšs proche du gĂ©nĂ©ral de Gaulle de longue date (voir le chapitre consacrĂ© Ă la « traversĂ©e du dĂ©sert »), porte explicitement la marque de la vision unioniste gaullienne au sujet de lâEurope et avait Ă©tĂ© retoquĂ© en novembre 1961 puis de nouveau en janvier 1962.
Par ailleurs, au mois de mai 1962, lâalliĂ© amĂ©ricain se montre trĂšs critique face Ă la politique gaullienne, notamment dans deux dossiers. Dâabord, au sujet de la force de dissuasion nuclĂ©aire française â oĂč une directive prĂ©sidentielle du 16 dĂ©cembre 1961 demandait que les forces nuclĂ©aires soient capables « dâinfliger Ă lâUnion soviĂ©tique une rĂ©duction notable, câest-Ă -dire environ 50 %, de sa fonction Ă©conomique. (âŠ) Dans dix ans, nous aurons de quoi tuer 80 millions de Russes. Eh bien je crois qu’on n’attaque pas volontiers des gens qui ont de quoi tuer 80 millions de Russes, mĂȘme si on a soi-mĂȘme de quoi tuer 800 millions de Français, Ă supposer qu’il y eĂ»t 800 millions de Français. » Ensuite, Ă propos de la question algĂ©rienne et tout particuliĂšrement celle des harkis.
Le gĂ©nĂ©ral de Gaulle rĂ©pond, le 8 juin, que : « une fois rĂ©glĂ©e lâaffaire algĂ©rienne (…) par le suffrage universel (…) nous aurons Ă assurer que, dans lâavenir et par-delĂ les hommes qui passent, la RĂ©publique puisse demeurer forte, ordonnĂ©e et continue. » En ce sens, de Gaulle annonce au Conseil des ministres du 29 aoĂ»t 1962 son intention de proposer une rĂ©vision de la Constitution, puis au Conseil des ministres du 12 septembre un projet de rĂ©fĂ©rendum sur lâĂ©lection du prĂ©sident de la RĂ©publique au suffrage universel direct. Le 20 septembre, de Gaulle explique le projet aux Français lors dâune allocution tĂ©lĂ©visĂ©e dans laquelle il dit « Certes, l’Ćuvre que nous avons encore Ă accomplir est immense, car, pour un peuple, continuer de vivre c’est continuer d’avancer. Mais personne ne croit sĂ©rieusement que nous pourrions le faire si nous renoncions Ă nos solides institutions. Personne, au fond, ne doute que notre pays se trouverait vite jetĂ© Ă l’abĂźme, si par malheur nous le livrions de nouveau aux jeux stĂ©riles et dĂ©risoires d’autrefois. Or, la clĂ© de voĂ»te de notre rĂ©gime, c’est l’institution nouvelle d’un PrĂ©sident de la RĂ©publique dĂ©signĂ© par la raison et le sentiment des Français pour ĂȘtre le chef de l’Ătat et le guide de la France. Bien loin que le prĂ©sident doive, comme naguĂšre, demeurer confinĂ© dans un rĂŽle de conseil et de reprĂ©sentation, la Constitution lui confĂšre, Ă prĂ©sent, la charge insigne du destin de la France et de celui de la RĂ©publique. »
Les opposants au projet critiquent tant le fond que la forme. En effet, pour eux, le passage par la voie rĂ©fĂ©rendaire constitue une forme de dĂ©ni de dĂ©mocratie, tout au moins de la dĂ©mocratie reprĂ©sentative et parlementaire, câest pourquoi lors du congrĂšs du parti radical rĂ©uni le 30 septembre 1962, le prĂ©sident du SĂ©nat, Gaston Monnerville, dĂ©clare que « la motion de censure mâapparaĂźt comme la rĂ©plique directe, lĂ©gale, constitutionnelle Ă ce que jâappelle une forfaiture. » Cette motion de censure est dâailleurs explicite. Le gouvernement Pompidou remet la dĂ©mission de son gouvernement le 6 octobre et lâAssemblĂ©e est dissoute le 9 octobre, quant au projet de loi, il est approuvĂ© par rĂ©fĂ©rendum le 28 octobre 1962 (avec 61,75% de oui Ă la question : « Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le prĂ©sident de la RĂ©publique et relatif Ă l’Ă©lection du prĂ©sident de la RĂ©publique au suffrage universel ? » et un taux dâabstention de 23,03%) et le Conseil constitutionnel, le 6 novembre, se refuse Ă apprĂ©cier la constitutionnalitĂ© des lois qui « adoptĂ©es par le peuple Ă la suite dâun rĂ©fĂ©rendum, constituent lâexpression directe de la souverainetĂ© nationale ».
Aujourdâhui, la Ve RĂ©publique et tout particuliĂšrement le principe de la « monarchie rĂ©publicaine » Ă©lective oĂč le prĂ©sident de la RĂ©publique est bien plus quâune clef de voĂ»te sont vivement critiquĂ©s. Durant la campagne Ă©lectorale des Ă©lections prĂ©sidentielles de 2017, Jean-Luc MĂ©lenchon, le candidat de la France insoumise et invitĂ© sur le plateau du 19.45 de M6, rĂ©pond au journaliste Xavier de Moulins qui lui demande de confirmer sa dĂ©claration dans laquelle il disait vouloir jeter les clefs de lâĂlysĂ©e dans la Seine une fois quâil serait Ă©lu prĂ©sident de la RĂ©publique : « Cela veut dire que dâabord, je convoquerai une constituante pour quâon sorte de cette absurde monarchie quinquennale qui donne tous les pouvoirs Ă une personne. Nous aurons donc un rĂ©gime plus tranquille, apaisĂ©, parlementaire (âŠ) Le prĂ©sident qui sera lĂ aura sans doute des tĂąches comme dans tous les pays : reprĂ©senter le pays et ĂȘtre la bonne conscience collective. Mais moi mon rĂŽle sera terminĂ©. Jâaurais apportĂ© ma contribution Ă lâhistoire de mon pays ; la Ve RĂ©publique, la page aura Ă©tĂ© tournĂ©e, on aura modernisĂ© le pays et moi je rentre Ă la maison. » Dans cette mĂȘme campagne, BenoĂźt Hamon, candidat socialiste, veut « une 6Ăšme RĂ©publique qui remette les citoyens au cĆur de la dĂ©cision politique » comme il lâĂ©crit dans sa profession de foi officielle.
Or cette thĂ©matique du changement de RĂ©publique est rĂ©currente dans lâespace politique français. GĂ©nĂ©ralement, le point dâachoppement principal concerne les pouvoirs du prĂ©sident de la RĂ©publique et notamment leur limitation. « Pour les socialistes, le point essentiel dâune rĂ©forme constitutionnelle doit tourner autour de la stature du prĂ©sident puisqu’elle fut taillĂ©e sur mesure par Michel DebrĂ© pour le gĂ©nĂ©ral de Gaulle. » rappelle lâINA en prĂ©sentant deux extraits vidĂ©o, lâun de 1974, lâautre de 1979. Quant Ă lâextrĂȘme-droite, elle inscrit ce thĂšme dans la campagne prĂ©sidentielle dĂšs 1995. En 2017, Marine Le Pen, candidate, sâinscrit alors dans la pleine lignĂ©e tracĂ©e par son pĂšre vingt ans auparavant.
Ressources complémentaires :
Bibliographie
Gilles Bachelier, « La Constitution et les élections présidentielles », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, vol. 34, n° 1, 2012, pp. 5-12
Maria Rosaria Donnarumma, « Le régime semi-présidentiel. Une anomalie française », Revue française de droit constitutionnel, vol. 93, n° 1, 2013, pp. 37-66
Bastien François, « Histoire des candidatures Ă l’Ă©lection prĂ©sidentielle », Pouvoirs, vol. 138, n° 3, 2011, pp. 5-17
Sophie Lamouroux, « De la prĂ©sentation Ă la prĂ©sĂ©lection des candidats Ă l’Ă©lection prĂ©sidentielle : le filtrage comme fil d’Ariane », Revue française de droit constitutionnel, vol. hs 2, n° 5, 2008, pp. 157-167
Georges-Henri Soutou, « Le gĂ©nĂ©ral de Gaulle, le plan Fouchet et lâEurope », Commentaire, n° 52, hiver 1990-1991
Georges-Henri Soutou, « Les présidents Charles de Gaulle et Georges Pompidou et les débuts de la coopération politique européenne : du Plan Fouchet au Plan Fouchet light », Relations internationales, n° 140, octobre-décembre 2009
Irwin M. Wall, Les Ătats-Unis et la guerre dâAlgĂ©rie, Paris, Soleb, 2006
Sitographie
Dossier « Ils veulent une VIe République », http://www.ina.fr/contenus-editoriaux/articles-editoriaux/ils-veulent-une-6eme-republique