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Photographie officielle du Président Georges Pompidou

Source : Paris-Match © François PagĂšs – Droits rĂ©servĂ©s – TĂ©lĂ©chargement

Présentation 

Ce portrait en plan Ÿ, ou plan amĂ©ricain, en couleur du prĂ©sident Georges Pompidou, Ă©lu quelques semaines auparavant, a Ă©tĂ© effectuĂ© par François PagĂšs, photojournaliste qui travaille principalement pour le magazine Paris-Match. La sĂ©ance de photographies s’est dĂ©roulĂ©e dans un bureau du palais de l’ÉlysĂ©e dans lequel se trouve cette magnifique bibliothĂšque.

Contextualisation

Depuis la prĂ©sidence d’Adolphe Thiers, au dĂ©but de la TroisiĂšme RĂ©publique, la pratique du portrait officiel et tout particuliĂšrement celui du portrait photographique s’impose comme une Ă©tape incontournable du calendrier de dĂ©but de prĂ©sidence. Reprenant ainsi une tradition somme toute ancestrale et relativement monarchique – ce qui n’a rien d’étonnant en soit pour ce qui concerne Adolphe Thiers –, chaque prĂ©sident cherche Ă  vĂ©hiculer par l’image un message. La prĂ©sidence de Pompidou n’échappe ainsi pas Ă  la rĂšgle et Pompidou en profite pour imprimer la marque de ce qu’il veut pour son septennat : l’inscrire dans la continuitĂ© avec le prĂ©cĂ©dent, c’est-Ă -dire celui du gĂ©nĂ©ral de Gaulle.

Analyse

Pompidou n’est pas de Gaulle
 mais Pompidou se veut l’hĂ©ritier direct de Charles de Gaulle. Aussi, la tradition du portrait officiel du prĂ©sident de la RĂ©publique est un moyen pour le successeur de se positionner de maniĂšre trĂšs claire et Ă©vidente, malgrĂ© les inĂ©vitables diffĂ©rences.

Pour sa photographie officielle, Georges Pompidou a fait appel Ă  François PagĂšs, photojournaliste du magazine Paris-Match qui participe Ă  la large couverture photographique et mĂ©diatique du prĂ©sident de Gaulle entre 1958 et 1962 puisque dans 244 numĂ©ros de Paris-Match de cette pĂ©riode, pas moins de 366 photographies du gĂ©nĂ©ral de Gaulle sont publiĂ©es. De son cĂŽtĂ©, Charles de Gaulle est photographiĂ© le 21 fĂ©vrier 1959 par Jean-Marie Marcel qui a dĂ©jĂ  rĂ©alisĂ© le portrait officiel de Charles de Gaulle en qualitĂ© de prĂ©sident du GPRF en 1944, pour la campagne rĂ©fĂ©rendaire de 1946 et la photographie officielle de prĂ©sident du Conseil quelques mois auparavant. Le choix du photographe montre Ă  la fois des ruptures et des continuitĂ©s. Rupture puisque Pompidou ne fait pas appel Ă  Marcel mais Ă  PagĂšs. ContinuitĂ© parce qu’appeler Marcel en 1959 constitue un clair choix car « il incarne une certaine modernitĂ© de par ses techniques d’éclairage peu habituelles Ă  l’époque, puisqu’il utilise notamment des flashs Ă©lectroniques et des torches [et] pour ce portrait (
) utilise une chambre photographique Ă  dĂ©clencheur souple » tout comme faire le choix de PagĂšs en 1969 en un temps oĂč le magazine Paris-Match engage sa ligne Ă©ditoriale vers une dimension plus « people ». Le choix de la modernitĂ© est aussi Ă©vident du cĂŽtĂ© de Charles de Gaulle avec l’introduction de la couleur dans la photographie officielle.

Le choix du lieu montre une certaine volontĂ© d’affirmer la continuitĂ©. Pompidou est le successeur annoncé de Charles de Gaulle quand il se fait photographier, tout comme son mentor, dans l’ancien bureau de Bernard Tricot, ancien conseiller technique chargĂ© des questions constitutionnelles et algĂ©riennes. L’angle de prise de vue est pratiquement le mĂȘme. La table prĂ©sente sur la gauche de la photographie est la mĂȘme. La posture des deux hommes est similaire. Pourtant existent des diffĂ©rences parfois infimes qui n’en sont pas moins signifiantes. Ainsi, Charles de Gaulle pose les phalanges moyennes sur deux livres, qui ne correspondent pas Ă  ceux initialement prĂ©vus par les photographes Jean-Marie Marcel et Jean Mainbourg comme le prouve le clichĂ© pris par Mainbourg de Marcel qui prend la place du gĂ©nĂ©ral de Gaulle pour effectuer les rĂ©glages ; sans doute Ă  cause de la haute stature du chef de l’État. Aussi conjecturer Ă  propos des titres de ces livres semble totalement improductif puisque le choix n’est pas, contrairement au cas de la photographie officielle du prĂ©sident Emmanuel Macron, un choix objectivĂ©. Aussi, si Georges Pompidou pose directement ses phalanges distales sur la table c’est sans aucun doute parce que son mĂštre quatre-vingt-un ne justifie pas la prĂ©sence d’ouvrages comme le faisait le mĂštre quatre-vingt-treize du gĂ©nĂ©ral de Gaulle. De plus, si Charles de Gaulle porte le regard Ă  gauche, Pompidou le porte Ă  droite. Pourtant, comme dans les portraits royaux, le corps du sujet est tournĂ© Ă  l’inverse formant pratiquement un angle Ă  90°. Cette technique permet d’occuper l’espace.

Le choix diffĂ©rent des vĂȘtements met en avant de nombreux points communs tant et si bien qu’une lecture rapide des deux documents pourrait faire croire Ă  une similitude trĂšs importante : les deux portent un costume noir, une chemise blanche, un nƓud papillon blanc. Cependant il existe des diffĂ©rences notoires qui soulignent des caractĂ©ristiques propres Ă  chacun des deux. Le costume pompidolien est un complet-veston croisĂ© non boutonnĂ© qui laisse donc apparaĂźtre le gilet, dans une forme donc de dĂ©contraction relative. Le choix est donc assez classique et si Georges Pompidou ne portait pas en sus de son costume de nombreux ornements d’apparats – et sans doute du nƓud papillon blanc –, il pourrait sortir dans les rues du 8Ăšme arrondissement de Paris et passer pour n’importe quel homme ou banquier d’affaires, comme il le fut de 1954 Ă  1958, lors de son passage en qualitĂ© de directeur gĂ©nĂ©ral dans les bureaux de la banque Rothschild FrĂšres. Le costume gaullien est lui militaire puisqu’il s’agit de l’habit d’officier gĂ©nĂ©ral au grand complet avec le pantalon Ă  liserĂ©, les boutons dorĂ©s, les Ă©paulettes et le gilet gris. C’est donc bien l’image du prĂ©sident-gĂ©nĂ©ral que de Gaulle souhaite renvoyer tandis que Georges Pompidou, aprĂšs les Ă©vĂ©nements de mai 1968, tente de renvoyer l’image assez traditionnelle du cadre dirigeant apaisĂ©, calme et tranquille.

Enfin, le choix des ornements d’apparat et tout particuliĂšrement des dĂ©corations est signifiant. Georges Pompidou porte le collier de Grand MaĂźtre de la LĂ©gion d’Honneur puisqu’il n’a pas le droit de porter celui de Grand MaĂźtre de l’Ordre de la LibĂ©ration, n’appartenant pas Ă  cet ordre et puisque Charles de Gaulle l’est encore au moment de son investiture. D’ailleurs, cet Ordre, créé le 16 novembre 1940 ayant Ă©tĂ© attribuĂ© pour la derniĂšre fois le 23 janvier 1946 et regroupant un peu plus d’un millier de rĂ©cipiendaires, n’eĂ»t qu’un seul Grand MaĂźtre en la personne de Charles de Gaulle puisque, peu de temps aprĂšs la mort de celui-ci, le conseil de l’ordre statua sur le fait qu’il n’y aurait jamais de successeur au gĂ©nĂ©ral de Gaulle en ce grade. Le collier de Grand MaĂźtre de la LĂ©gion d’Honneur, portĂ© par Georges Pompidou, a Ă©tĂ© créé en 1953 donc aurait pu ĂȘtre arborĂ© par Charles de Gaulle qui fait le choix de l’ordre de la LibĂ©ration. Pourtant, les deux revĂȘtent la Grand-Croix de l’Ordre de la LĂ©gion d’Honneur par son large ruban rouge se portant en Ă©charpe par l’épaule droite.

Ainsi le portrait photographique officiel de Georges Pompidou le place entre ruptures et continuitĂ©s vis-Ă -vis de la prĂ©sidence de Charles de Gaulle qui vient de s’achever par la dĂ©mission de celui-ci et alors que celui-lĂ  a Ă©tĂ© son premier ministre jusqu’au 21 juillet 1968.

Ressources complémentaires :

Bibliographie 

Christian Delporte, « Image, politique et communication sous la CinquiĂšme RĂ©publique », VingtiĂšme SiĂšcle. Revue d’histoire, vol. 72, n° 4, 2001, pp. 109-123

Jean-François Soulet, « Les sources iconographiques et audiovisuelles », L’histoire immĂ©diate. Historiographie, sources et mĂ©thodes, sous la direction de Soulet Jean-François. Armand Colin, 2012, pp. 167-210

Sociétés & Représentations, « Dramaturgie du politique », vol. 12, n° 2, 2001, pp. 5-14

Sitographie 

HélÚne Delye, « Le temps suspendu du portrait officiel »,  https://www.franceculture.fr/emissions/la-revue-des-images-d-helene-delye/le-temps-suspendu-du-portrait-officiel

ValĂ©rie Duponchelle, « Les prĂ©sidents dans l’Ɠil des photographes c, Le Figaro, 4 juin 2012, http://www.lefigaro.fr/culture/2012/05/29/03004-20120529ARTFIG00627-les-presidents-dans-l-339il-des-photographes.php

Cyril Hofstein, « De Gaulle, 50 ans aprĂšs : les dessous d’une photo officielle, Le Figaro, 2 janvier 2009, http://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2009/01/03/01006-20090103ARTFIG00059–les-dessous-d-une-photo-officielle-.php

Jean-Marie Marcel, « Portrait officiel de Charles de Gaulle »,