Pérenniser la France Libre nécessite de la financer avec un soutien britannique -7 août 1940
Titres III à V de l’Accord franco-britannique du 7 août 1940
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Présentation
L’appel radiodiffusé à la BBC, le 18 juin 1940 au soir, depuis Londres, marque la rupture effective du général de Gaulle avec le gouvernement du maréchal Pétain. La France libre existe dans les mots du général de Gaulle. Les Français libres vont pouvoir rallier leur chef auto-proclamé. Pourtant, il s’agit d’un pari assis sur la confiance placée en Winston Churchill et son entourage. Faire fonctionner une France sans le recours aux ressources de l’Etat : réserves de la Banque de France, recours à l’impôt, impose de trouver un bailleur de fonds de substitution. Une fois reconnue officiellement par le gouvernement britannique, la France libre doit négocier un accord de financement par le gouvernement britannique jusqu’à la victoire contre l’Axe. Le 7 août 1940, c’est chose faite. Le binôme Churchill-de Gaulle est de nouveau aux commandes de cet accord.
Contextualisation
Le nouveau contexte politique et diplomatique doit être rappelé pour restituer les moments forts des relations franco-britanniques dans l’après 18 juin.
18 juin 1940 : Charles de Gaulle, depuis Londres, lance un Appel aux Français à continuer la guerre du côté britannique, condamnant la demande d’armistice du gouvernement Pétain.
22 juin 1940 : la délégation du gouvernement français dirigée par le général Huntziger signe, avec l’accord du maréchal Pétain et de son gouvernement de Bordeaux, l’armistice dans la Clairière de Rethondes, à Compiègne.
25 juin 1940 : entrée en vigueur de l’Armistice après acceptation de ses clauses par l’Italie fasciste
27 juin 1940 : rencontre de Gaulle-Churchill au 10 Downing Street, Churchill annonce que le Royaume-Uni va reconnaître Charles de Gaulle comme représentant officiel de la France.
28 juin 1940 : le gouvernement britannique reconnaît officiellement l’autorité de Charles de Gaulle sur les Français libres par un communiqué libellé en ces termes : « reconnaît le général de Gaulle comme chef de tous les Français libres, où qu’ils se trouvent, qui se rallient à lui pour la défense de la cause alliée. » La question du financement de la France libre n’est pas encore traitée sur le long terme.
3 juillet 1940 : opération Catapult, les Britanniques s’emparent par la force des navires de guerre français, présents dans les ports anglais et une escadre de la marine britannique ouvre le feu sur les navires de guerre français, ancrés à Mers-el-Kébir, près d’Oran, mettant hors de combat trois cuirassés au prix de milliers de victimes françaises. L’image de la France libre pâtit de cette opération préventive, décidée par Churchill pour montrer sa farouche volonté de continuer la lutte et pour garantir le contrôle de la Méditerranée à la seule flotte britannique.
7 août 1940 : signature par Winston Churchill et Charles de Gaulle de l’Accord franco-britannique qui garantit le financement de la France libre sur le long terme
Analyse
Les signataires de cet accord sont le Premier ministre britannique et le chef de la France libre ou plutôt le Commandant la Force Française. Le terme Force, en anglais, fait plutôt référence à une entité militaire du type Corps Expéditionnaire cf. BEF. Le contenu de l’Accord indique que la possibilité d’une entité politique est envisagée. La confiance née en juin 1940 s’est affermie. Winston Churchill soutient l’entreprise lancée par Charles de Gaulle pour « sauver l’honneur de la France. » Il engage les finances de l’Etat britannique et ce, avec valeur rétroactive. La validité de l’Accord donc de la prise en charge financière de la France libre débute à compter du 1er juillet 1940 (Titre V) ; soit 3 jours après la reconnaissance officielle de l’autorité du général de Gaulle sur les Français libres. Winston Churchill n’ergote pas et le mois précédent l’Accord est inclus dans la prise en charge.
Le contenu financier de l’accord apparaît concrètement au Titre IV. Si le Titre III, alinéa 2, indique que les volontaires français, engagés pour combattre durant toute la guerre, recevront une solde, c’est le Titre IV qui indique qui la paiera aux intéressés. Il mentionne la prise en charge de tous les frais par les Ministères britanniques intéressés. L’alinéa 4 du Titre III indique que le général de Gaulle peut également recruter du personnel technique et scientifique. Cet alinéa fait directement référence à l’Appel du 18 juin 1940 par lequel les « ingénieurs et les ouvriers spécialistes de l’armement » étaient incités par le général de Gaulle à rallier Londres pour participer à l’effort de guerre. L’Accord du 7 août est, par conséquent, la traduction concrète d’un volet de l’Appel du 18 juin : la constitution d’une armée et d’un corps de techniciens. L’alinéa 3 prévoit la possibilité de créer « un organisme civil comportant les services administratifs nécessaires à l’organisation de sa force. » Voilà la base de la France libre, organisation politique destinée à incarner le futur d’une France souveraine, alliée du Royaume-Uni.
La question de la souveraineté de la France, sujet qui importait au combien au général de Gaulle, est clairement traitée dans cet Accord franco-britannique. Contrairement à la proposition Monnet du 16 juin, l’Accord respecte la souveraineté de la France libre, particulièrement concernant ses finances. L’alinéa 2 du titre IV précise : « Les montants payés (…) seront considérés comme des avances et comptabilisés à part. Toutes les questions relatives au règlement final de ces avances, ainsi que des montants qui auront pu être crédités en contrepartie d’un commun accord, seront l’objet d’un arrangement ultérieur. » Il s’agit donc bien d’une avance de frais d’un Etat au bénéfice d’un autre Etat. Charge à ce dernier de rembourser ces avances une fois la France conjointement libérée. Autre marque de souveraineté, au Titre III, alinéa 2, la base de la solde des volontaires de la France libre devait être déterminée séparément par un accord entre le général de Gaulle et les Ministères britanniques. Le montant des soldes dépendrait donc de décisions d’une autorité française et non des règles britanniques en usage. La France libre est donc souveraine pour rétribuer ses soldats. Comment expliquer l’octroi de telles facilités à une organisation naissante, qui rassemble à ses débuts, seulement quelques milliers de Français résolus.
Deux habiles négociateurs ont travaillé à ce projet. L’un est connu, c’est le Professeur René Cassin, l’autre l’est moins, c’est Pierre Denis, géographe et spécialiste des questions financières.
Grand juriste et habile diplomate, René Cassin se voit confier la mission de préparer cet accord, dès le 29 juin, par Charles de Gaulle. Fin connaisseur de la diplomatie, il informe le général de Gaulle de ce que la méthode de négociation de cet Accord par le biais de lettres échangées rendues publiques n’est en rien une négation de la souveraineté de la France libre mais un usage de la diplomatie britannique. Le même procédé fut utilisé par le Foreign Office pour mettre au point la Déclaration Balfour de 1917 en échangeant des lettres avec Lord Rothschild. Le 7 août 1940, la lettre de Churchill et celle de De Gaulle furent rendues publiques et elles contenaient la même formule essentielle : « restauration intégrale de l’indépendance et de la grandeur de la France. » Le Mémorandum joint aux lettres et co-signé par Churchill et de Gaulle dont est extrait le document 1, constitue les modalités concrètes de l’Accord.
Concernant les facilités financières accordées à la France libre par cet accord, c’est à Pierre Denis, alias Rauzan, qu’elle les doit en partie. Normalien et géographe, comme René Cassin, il a œuvré à la S.D.N. notamment comme « money doctor » puis l’ayant quittée, comme banquier aux côtés de Jean Monnet avant de travailler au Comité de Coordination franco-britannique d’achat de matériel militaire aux Etats-Unis de septembre 1939 à juin 1940. Il connaît donc bien tous les responsables de la Banque d’Angleterre comme Montagu Norman, qui lui font une confiance aveugle lorsqu’il est chargé des finances de la France libre par le général de Gaulle, dès sa première rencontre avec lui, le 29 juin 1940. Dès juillet 1940, c’est Pierre Denis qui gère le compte ouvert à la Banque d’Angleterre par Churchill au nom du général de Gaulle, compte alimenté régulièrement par le ministère des finances ou le trésor britannique. C’est ce même Pierre Denis qui fondera la Caisse Centrale de la France libre en 1941 ; ancêtre de l’actuelle Agence Française de Développement.
Ressources complémentaires :
Bibliographie
Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, Tome 1 – l’Appel 1940-1942, Paris, Plon, 1954.
Winston Churchill, Mémoires de guerre, Tome 1 – 1919-1942, texte traduit, présenté et annoté par François Kersaudy, Paris, Tallandier, 2013.
Jean Lacouture, De Gaulle, Le rebelle (1890-1944), Paris, Seuil, 1984.
Jean-Louis Crémieux Brilhac, La France Libre. De l’appel du 18 juin à la Libération, Paris, Gallimard, 2014 [1996].
François Kersaudy, De Gaulle et Churchill. La mésentente cordiale, Paris, Perrin, 2001.
Philippe Oulmont, Pierre Denis, citoyen du monde et Français libre, Paris, Nouveau Monde éditions, 2012.
Gérard Israël, René Cassin, La guerre hors la loi. Avec de Gaulle. Les droits de l’Homme, Paris, Desclée de Brouwer, 1990.
Sitographie
Pour accéder à l’intégralité de l’Accord franco-britannique du 7 août 1940 : http://www.france-libre.net/accord-franco-britannique/
Biographie de Pierre Denis sur le site de la Fondation de la France libre : http://www.france-libre.net/pierre-denis-rauzan/
Biographie de René Cassin sur le site de l’Ordre de la Libération : http://www.ordredelaliberation.fr/fr/les-compagnons/179/rene-cassin