« Pour répondre aux nécessités de notre action, le général de Gaulle organise la France Libre comme un embryon d’État : Information et Presse, Marine marchande, Administration et Finances, Colonies et Affaires économiques, Justice, Armements, telles furent les premières directions. Dans cet ensemble, j’étais chargé des Affaires politiques, c’est-à-dire des territoires de la France occupée. […] J’indiquai […] les membres de la haute administration qui me semblaient devoir être avec nous de cœur. De fait, ceux que j’avais indiqués nous rejoignirent, les premiers étant Hervé Alphand et André Diethelm […], qui devait devenir l’une des colonnes de la France Libre. Sa loyauté, son courage, ce qu’il y avait en son esprit de profond et de solide plut beaucoup au Général. […] C’est le 24 septembre 1941 que fut constitué le Comité national français avec Pleven aux Colonies, Diethelm à l’Intérieur […], Dejean aux Affaires étrangères, puis Soustelle à l’Information. »

Titre : Conférence de Gaston Palewski, 3 novembre 1982

Source : Cité dans Jean Lacouture, De Gaulle, t.1 le rebelle (1890-1944), Paris, Seuil, 2010 [1984], p. 46

© Seuil, 1984

Présentation

La conférence de Gaston Palewski est un témoignage sur les premiers pas de la France Libre comme un embryon d’État capable de représenter la France qui continue le combat auprès des Alliés. Rallié dès l’été 1940 à la France Libre, ancien collaborateur de Paul Reynaud avant-guerre, Gaston Palewski devient Directeur des Affaires politiques de la France Libre, puis chef de cabinet du général de Gaulle en septembre 1942. Ce texte rappelle combien les débats de la France Libre ont été difficiles et précise le rôle qu’ont joué les ralliements dans la construction de sa légitimité aux yeux des Alliés.

Contextualisation

Depuis juin 1940, de Gaulle est « chef des Français Libres ». En octobre 1940, un Comité de défense de l’Empire est constitué. Mais l’ambition gaulliste de former une autorité nationale légitime et hostile à Vichy n’est pas encore atteinte, alors que la guerre a pris une nouvelle dimension avec l’entrée en guerre de l’URSS en juin 1941. Il lui faut désormais une structure gouvernementale capable d’assurer la légitimité de son autorité en exil face aux Alliés, à l’occupant mais aussi face à Vichy.

Analyse

Le témoignage de Gaston Palewski trahit l’admiration de ce très proche collaborateur du général de Gaulle pour l’homme de l’appel du 18 juin 1940. Mais il permet aussi de comprendre que cet appel n’a été qu’un premier pas, dont le mythe cache les difficultés avec lesquelles le pouvoir gaulliste en exil s’est construit. Il souligne d’abord l’ambition du projet de De Gaulle. Il faut donner à la France combattante les instruments de l’exercice du pouvoir. Voilà pourquoi Gaston Palewski rappelle scrupuleusement les différentes directions de l’État embryonnaire que devient le Comité national français en septembre 1941. Ce gouvernement embryonnaire vise à dénier toute légitimité à Vichy ; le Conseil national est une autorité de fait, improvisée et provisoire, dans l’attente de la Libération et de la consultation démocratique du peuple français. Ce témoignage présente également la construction de la France Libre comme une aventure à laquelle seule une poignée d’hommes ont d’abord participé. Les ralliements successifs de hauts fonctionnaires (Hervé Alphand, André Diethelm ou Palewski lui-même), d’intellectuels (Jacques Soustelle, mais aussi Raymond Aron) ou de cadres brillants (René Pleven) venus d’horizons différents permettent de construire l’autorité civile de la France Libre. Ces « gaullistes », cependant, sont peu nombreux, et la France Libre manque encore d’effectifs et de territoires pour peser dans le conflit. Si le CNF est rapidement reconnu par le Royaume-Uni et l’URSS, la légitimité du pouvoir gaulliste est en réalité fragile.

Ressources complémentaires :

 

Bibliographie

Christian Bourgeois, René Pleven : un Français libre en politique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1994.

Gaston Palewski, Mémoires d’action 1924-1974, Paris, Plon, 1988.

Michel Tirouflet, André Diethelm, Paris, N. Chaudun, 2012.

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