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Agenda des 10, 11, 14 et 15 janvier 1950

Source : Fondation Charles de Gaulle

Présentation

Ce document privĂ© conservĂ© dans les archives de la Fondation de Gaulle est une mine d’information pour qui veut retracer la vie quotidienne de Charles de Gaulle. En effet, l’agenda du GĂ©nĂ©ral est tenu de sa main (il est facile de reconnaĂźtre sa si particuliĂšre Ă©criture) de maniĂšre trĂšs prĂ©cise. Les pages prĂ©sentĂ©es correspondent aux mardi 10, mercredi 11, samedi 14 et dimanche 15 janvier 1950 et dĂ©montrent l’activitĂ© intense du gĂ©nĂ©ral de Gaulle.

Contextualisation

Le dĂ©but d’annĂ©e 1950 correspond Ă  une pĂ©riode oĂč le gĂ©nĂ©ral de Gaulle n’est que le chef d’un parti politique de second rang. En effet, malgrĂ© la poussĂ©e Ă©lectorale importante du RPF lors des Ă©lections municipales de 1947, cantonales de 1949 et au Conseil de la RĂ©publique en 1948 (58 siĂšges sur 320), les partis qui dominent l’espace politique français sont principalement le MRP (28% des siĂšges Ă  l’AssemblĂ©e nationale), le PCF (29% des siĂšges) et la SFIO (16% des siĂšges). Pourtant l’activitĂ© du gĂ©nĂ©ral semble intense alors que la prochaine Ă©chĂ©ance Ă©lectorale n’est prĂ©vue que pour juin 1951.

eAnalyse

Alors que l’annĂ©e 1950 est au cƓur de la pĂ©riode parfois dite de la « traversĂ©e du dĂ©sert » du gĂ©nĂ©ral de Gaulle, l’analyse de son agenda (tenu au 5 rue de SolfĂ©rino) dĂ©montre tout au contraire l’intense activitĂ© de l’homme public et privĂ© qu’est le gĂ©nĂ©ral en cette pĂ©riode de janvier 1950 qui constitue un vĂ©ritable creux dans la vie politique française (tout du moins au point de vue du calendrier Ă©lectoral puisque les derniĂšres Ă©lections, les cantonales, se sont dĂ©roulĂ©es en mars 1949, les lĂ©gislatives sont prĂ©vues pour juin 1951 et les cantonales partielles pour octobre 1951). Quant au gouvernement, qui s’appelle le deuxiĂšme gouvernement Bidault, il est en place depuis le 28 octobre 1949 et s’appuie sur une majoritĂ© bricolĂ©e et relativement complexe puisque le gouvernement de trente-quatre membres regroupe des MRP (12), des SIO (9), des PRS (6), des CNI (3), des UDSR (2), un RI, un PPUS. Il semble peu probable qu’il dure autant que le gouvernement Qeuille qui s’installa du 11 septembre 1948 au 5 octobre 1949, soit un an et vingt-quatre jours. Donc mĂȘme si le calendrier Ă©lectoral semble Ă©loignĂ©, l’instabilitĂ© ministĂ©rielle presque constante laisse l’opportunitĂ© aux opposants d’avoir une visibilitĂ© publique assez importante.

En tout cas, l’agenda de ces quatre jours, parmi tant d’autres, dĂ©montre l’activitĂ© importante du gĂ©nĂ©ral de Gaulle, chef du RPF. Bien Ă©videmment, les activitĂ©s directement liĂ©es Ă  la structure partidaire occupent une place importante dans l’agenda comme le montre les rendez-vous avec des cadres du parti. Le 11 janvier par exemple, il reçoit tour Ă  tour Jacques Baumel (un des membres Ă©minents du parti, ancien parlementaire UDSR) Ă  10h, Alain Bozel (chargĂ© de gĂ©rer les fonds du RPF) Ă  10h30, AndrĂ© Malraux (l’organisateur de la propagande) Ă  11h, Gaston Palewski (membre Ă©minent du conseil de direction) Ă  12h, avant de recevoir le journaliste Philippe BarrĂšs Ă  12h30 (qui est aussi le premier biographe de De Gaulle en 1941 lors de son exil new-yorkais aprĂšs s’ĂȘtre mis au service de la France libre en juin 1940), de dĂ©jeuner avec RenĂ© Capitant (membre trĂšs actif du RPF, ancien rĂ©sistant des rĂ©seaux Combat puis Alliance Ă  Alger) et son Ă©pouse ; puis dans l’aprĂšs-midi, le gĂ©nĂ©ral reçoit Christian Fouchet (secrĂ©taire administratif du RPF) avant 17h, Edmond Michelet (le fondateur du MRPI qui regroupe les exclus du MRP pour double appartenance avec le RPF en 1947), puis Georges Pompidou (chef officieux du cabinet du gĂ©nĂ©ral au RPF) qu’il a dĂ©jĂ  rencontrĂ© la veille approximativement au mĂȘme horaire, c’est-Ă -dire vers 17h30. En soirĂ©e, Ă  21h30, de Gaulle reçoit Roland PrĂ©. De ces rendez-vous de ce jour-lĂ , presque exclusivement avec des membres Ă©minents du RPF, Bozel (septembre 1941 Ă  Londres), Palewski (aoĂ»t 1940 Ă  Gibraltar), Baumel (octobre 1940 pour la rĂ©sistance intĂ©rieure), Michelet (juillet 1941 en rĂ©sistance intĂ©rieure), Fouchet (19 juin 1940 Ă  Londres), PrĂ© (mars 1943 en rĂ©sistance intĂ©rieure) et Capitant (rĂ©sistance intĂ©rieure) sont donc des Français Libres qui ont rejoint de Gaulle de longue date. Cet Ă©lĂ©ment confirme bien que le but du RPF « était sans Ă©quivoque : ramener l’ancien prĂ©sident du GPRF au pouvoir afin de mener Ă  bien le redressement de la France. À cette fin, l’homme du 18 juin rĂ©unit autour de lui nombre de ses compagnons de l’épopĂ©e de la France libre ainsi que des rĂ©sistants notoires de l’intĂ©rieur. » L’aprĂšs-midi de ce 11 janvier, sont prĂ©vues des rĂ©unions directement liĂ©es au parti en lui-mĂȘme avec d’abord Ă  15h15 la rĂ©union du conseil de direction puis Ă  17h la rĂ©union de la commission Ă©lectorale qui doit prĂ©parer les cantonales et les lĂ©gislatives de 1949 (pourtant bien lointaine).

Par ailleurs, les dĂ©placements en province – comme ceux prĂ©vus le samedi 14 dans le Loiret et en Eure-et-Loir et le dimanche 15 dans l’Eure et en Seine-Maritime – si ils contribuent Ă  mesurer et Ă  assurer la popularitĂ© du gĂ©nĂ©ral de Gaulle en sa qualitĂ© de premier rĂ©sistant de France et chef de file des Compagnons de la LibĂ©ration – comme le souligne la rĂ©union prĂ©vue avec les Compagnons de Seine-InfĂ©rieure – servent Ă©galement Ă  diffuser le cƓur du message politique portĂ© par le RPF et Ă  ainsi faire progresser le mouvement politique gaulliste dans le paysage politique national. Comme le montre ce court mais intense dĂ©placement, le gĂ©nĂ©ral de Gaulle ne mĂ©nage pas sa peine pour que le RPF s’installe dans les esprits des Ă©lecteurs comme une solution de recours politique possible face au capharnaĂŒm qu’est la QuatriĂšme RĂ©publique. Les visites, discours nombreux qu’il y effectue, bains de foule qui les accompagnent, etc. dĂ©montrent tout Ă  fait que l’homme du 18 Juin ne traverse pas lĂ  une pĂ©riode d’effacement public, politique et mĂ©diatique que sous-entend l’expression de « traversĂ©e du dĂ©sert ». Les voyages, Ă  vocation publique du gĂ©nĂ©ral s’arrĂȘte Ă  la fin de l’annĂ©e 1953, signe qu’effectivement les Ă©lections municipales de 1953 constituent le point de dĂ©part de la traversĂ©e du dĂ©sert ; nĂ©anmoins, cet indicateur des dĂ©placements officiels du gĂ©nĂ©ral de Gaulle et de ses prises de paroles publiques tendent Ă  contredire cette vision qui consisterait Ă  penser que la traversĂ©e du dĂ©sert soit « une pĂ©riode de six annĂ©es. » En effet, dĂšs 1956, le gĂ©nĂ©ral de Gaulle reprend une activitĂ© publique
 certes modeste mais nĂ©anmoins rĂ©elle. D’abord Ă  Cerdon en Bugey le 24 juin 1956 puis, par exemple aux Antilles et en PolynĂ©sie française entre le 8 aoĂ»t et le 18 septembre. Par ailleurs, les interventions publiques du gĂ©nĂ©ral de Gaulle au sujet de la politique intĂ©rieure se poursuivent par le biais notamment de confĂ©rences de presse (12 novembre 1953, 7 avril 1954, 30 juin 1955, etc.)

Enfin, cet extrait d’agenda dĂ©montre aussi l’importance du cercle familial et le chevauchement des activitĂ©s publiques et privĂ©es de Charles de Gaulle. Ainsi aprĂšs avoir reçu le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du RPF Jacques Soustelle le 10 janvier Ă  18h30, Charles de Gaulle prĂ©voit de recevoir son fils Philippe. Pendant son dĂ©placement durant le week-end des 14 et 15 janvier, il prĂ©voit des rencontres, dĂ©jeuner ou dĂźner avec certains membres de sa famille proche comme sa fille Élisabeth et son gendre (et ancien membre du cabinet militaire du gĂ©nĂ©ral Ă  Londres) Alain de Boissieu le samedi et peut-ĂȘtre sa belle-fille Henriette de Montalembert (Ă©pouse de l’amiral Philippe de Gaulle) le dimanche.

Ressources complémentaires :

 

Bibliographie

Alain de Boissieu, Pour servir le Général, Paris, Plon, 1982.

AgnÚs Callu (dir.), Archives du général de Gaulle (1940-1958), Paris, Centre historique des archives nationales, 2003.

Christian Fouchet, MĂ©moires d’hier et de demain. 1, Au service du gĂ©nĂ©ral de Gaulle, Paris, Plon, 1971.

Bernard Lachaise, « L’entourage de Charles de Gaulle prĂ©sident du GPRF Ă  Paris (25 aoĂ»t 1944-21 janvier 1946) », Histoire@Politique, vol. 8, n° 2, 2009.

Gaston Palewski, MĂ©moires d’action (1924-1974), Paris, Plon, 1988.

Gilbert Pilleul, « L’entourage » et de Gaulle, Paris, Plon, 1979.

FrĂ©dĂ©ric Turpin, « Georges Pompidou et le Rassemblement du peuple français », Un politique : Georges Pompidou, Paris, Presses Universitaires de France, « Politique d’aujourd’hui », 2001, pp. 29-42.