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Voyage officiel du général de Gaulle en Pologne du 6 au 12 septembre 1967

Vidéo : voyage en Pologne (21’51)

 

Source : fresques.ina.fr, « Charles de Gaulle, paroles publiques »

Présentation

Le reportage permet de montrer le soutien que De Gaulle, devenu Président de la République, apporte à la Pologne dans le cadre du contentieux qui oppose cette dernière à la République Fédérale Allemande au sujet de la reconnaissance de la frontière germano-polonaise fixée sur la ligne « Oder-Neisse » à partir de 1945. La vidéo permet en outre d’évoquer le souvenir du séjour de De Gaulle en Pologne entre 1919 et 1921, auquel le Général fait allusion lors d’une allocution prononcée à la télévision polonaise avant de regagner la France.

Contextualisation

Le contexte issu de l’adoption de la ligne « Oder-Neisse » en 1945 et du développement de la guerre froide doit être analysé afin de ressaisir le contentieux qui oppose la RFA à la Pologne au sujet de la reconnaissance de leur frontière.
• 4-11 février 1945 : lors de la conférence de Yalta, les trois grandes puissances alliées (Etats-Unis, Royaume-Uni, URSS) adoptent la « ligne Curzon » comme frontière orientale de la Pologne et « reconnaissent que la Pologne doit recevoir de substantielles compensations territoriales au nord et à l’ouest ».
• 17 juillet-2 août 1945 : les trois grandes puissances s’accordent lors de la conférence de Potsdam sur la ligne « Oder-Neisse » comme frontière occidentale de la Pologne avec l’Allemagne, impliquant le transfert des populations allemandes demeurées en Pologne.
• 1946-1947 : des dissensions apparaissent entre Américains et Soviétiques au sujet de la nature de la nouvelle frontière germano-polonaise, provisoire dans l’attente d’un règlement général de la paix selon les premiers, définitive selon les seconds.
• 6 juillet 1950 : la Pologne et la République Démocratique Allemande, soutenus par l’URSS, signent le traité de Görlitz/Zgorzelec reconnaissant la ligne « Oder-Neisse » comme « frontière étatique ». La RFA, appuyée par les Etats-Unis, émet une protestation contre la légitimité de la RDA à signer un tel accord et refuse de reconnaître la ligne « Oder-Neisse », qui entraînerait « l’aliénation de territoires purement allemands ».
• 6-12 septembre 1967 : voyage officiel du Président de la République Française Charles de Gaulle en Pologne.

Analyse

Le voyage effectué par Charles de Gaulle au mois de septembre 1967 est avant tout l’occasion de célébrer l’alliance historique entre la France et la Pologne (« cette rencontre de nos deux Nations, c’est leur amitié, mainte fois séculaire, qui l’inspire »). On soulignera ici que De Gaulle est le premier chef d’Etat occidental à se rendre dans le pays, ce qui contribue à expliquer le succès populaire que le Général semble rencontrer au cours de sa tournée polonaise. De fait, le reportage attire plusieurs fois notre attention sur l’ampleur des foules qui se pressent dans les rues pour accueillir le Président français : 500 000 à Varsovie, 300 000 à Cracovie. Même si la nature du régime politique polonais nous invite à questionner la spontanéité véritable de tels rassemblements, il n’en demeure pas moins vrai que la visite d’un chef d’Etat français reste un événement politique apprécié et populaire compte-tenu du rôle que Paris a joué depuis 1918 dans la renaissance de la Pologne. De Gaulle le rappelle lui-même le 7 septembre : « Ce que je voudrais que vous sentiez, c’est que la France a toujours voulu la Pologne ; les autres ne l’ont pas toujours voulue », allusion à peine voilée à la Russie, dont on se souvient qu’elle a contribué à la disparition de la Pologne au XVIIIe siècle tandis que l’URSS n’a pas hésité à se partager le territoire polonais avec l’Allemagne nazie en 1939. Cette sortie quelque peu provocatrice s’inscrit dans le cadre du message diplomatique d’indépendance vis-à-vis de l’URSS que De Gaulle est venu porter au gouvernement polonais, sans rencontrer d’ailleurs beaucoup d’écho, comme le montre le discours du premier secrétaire du Parti Communiste polonais Władysław Gomulka devant le Parlement.

En outre, De Gaulle profite de son périple pour prendre fermement position en faveur de la ligne « Oder-Neisse » comme frontière d’Etat entre la Pologne et l’Allemagne, soutenant ainsi la démarche entreprise par Berlin-Est et Varsovie avec la signature de l’accord du 6 juillet 1950. En effet, le Général se montre particulièrement attaché à l’intangibilité de la frontière germano-polonaise à de multiples reprises au cours de son séjour. Dès le lendemain de son arrivée, le 7 septembre, il affirme cette position lors de sa rencontre avec l’exécutif polonais (« l’Allemagne dont les frontières resteront ce qu’elles sont, y compris, bien entendu, la frontière avec la Pologne » comme le formule le journaliste). Le 9 septembre, alors qu’il poursuit son déplacement à l’ouest du pays à Zabrze – anciennement Hindenburg – le Président français renouvelle son soutien à la ligne « Oder-Neisse » en des termes très gaulliens : « Zabrze, la ville la plus silésienne de toute la Silésie. C’est-à-dire la plus polonaise de toutes les polonaises ». Enfin, le Général se rend le lendemain à Gdansk, anciennement Dantzig, signe supplémentaire de l’importance qu’il accorde à la nouvelle frontière germano-polonaise issue de la seconde guerre mondiale.

Il va sans dire que le voyage du chef de l’Etat n’est pas passé inaperçu outre-Rhin. En effet, les déclarations du Général sur le caractère intangible des frontières de la Pologne ont provoqué une vive émotion en RFA, dont on se souvient qu’elle n’a pas reconnu la ligne « Oder-Neisse » et a même émis une protestation lors de la signature du traité de Görlitz/Zgorzelec le 6 juillet 1950. L’insistance de De Gaulle sur cette question pourrait à première vue paraître étonnante, dans la mesure où il est, avec Adenauer, l’artisan principal du rapprochement franco-allemand au début des années 1960. En réalité, elle attire surtout notre attention sur la constance de la politique germano-polonaise du Président : défenseur de la renaissance et de l’alliance polonaises au tournant des années 1920, supporteur de la ligne « Oder-Neisse » et de l’indépendance de la Pologne en 1944, il a remarquablement peu varié sur cette question en 1967. L’intérêt supérieur de la France commande qu’il existe, au revers d’une Allemagne dont le Général pressent qu’elle ne restera pas divisée éternellement, une Pologne qui lui soit naturellement opposée, ce que l’entretien d’une pomme de discorde sur la ligne « Oder-Neisse » paraît garantir. Au-delà de ces quelques lignes de force stratégiques, soutenir la Pologne permet aussi à De Gaulle de faire entendre sa différence par rapport à l’appui inconditionnel apporté à la RFA par les Etats-Unis, une démarche caractéristique du rejet de la logique des blocs qui sous-tend la politique étrangère de la France gaullienne.

Enfin, il est intéressant d’étudier ce voyage en ce qu’il achève le cycle polonais de la vie de De Gaulle. Le reportage fait ainsi allusion au précédent séjour du Général en Pologne : « Cracovie, le Général de Gaulle y est allé il y a 47 ans ». L’intéressé ne rechigne pas lui-même à jouer cette carte à plusieurs reprises pour s’attirer la sympathie des foules polonaises, ainsi à Varsovie le 6 septembre : « Avec quelle émotion, je retrouve la Pologne ». Mais l’évocation la plus précise est sans doute celle contenue dans l’allocution à la télévision polonaise à la fin de son voyage : « Je salue ceux d’entre vous qui ont vécu le temps lointain où j’avais été envoyé parmi eux, dans ma jeunesse ». Fidèle à une habitude qu’il affectionne tout particulièrement lors de ses déplacements à l’étranger, le Général fait ses adieux en prononçant quelques mots en polonais. S’il ne vécut pas assez longtemps pour voir la RFA reconnaître la ligne « Oder-Neisse » par le traité de Varsovie du 7 décembre 1970 (la reconnaissance définitive n’intervenant cependant qu’avec la réunification en 1990), la longévité de son existence témoigne de la persistance de la querelle frontalière germano-polonaise : né en 1890 dans un monde sans Pologne, capitaine en mission dans une Pologne renaissante en 1919-1921, c’est d’une Pologne aux frontières singulièrement occidentales et disputées qu’il prend congé en 1967.

Ressources complémentaires :

Sitographie

« L’Allemagne et ses frontières en 8 cartes », L’Histoire, Cartothèque, 13 mars 2017.

En ligne : https://www.lhistoire.fr/carte/lallemagne-et-ses-frontières-en-8-cartes

Bibliographie

Daniel Beauvois, La Pologne des origines à nos jours, Paris, Seuil, 2010.

Christine de Gémeaux, « Les frontières allemandes : un problème continental », Questions internationales, mai-août, n° 79-80, 2016.

Franciszek Draus, La ligne Oder-Neisse et l’évolution des rapports germano-polonais, Fondation pour les études de défense nationale, 1990.

Chantal Morelle, « Charles de Gaulle et la Pologne (1919-1969) », Revue Défense Nationale, vol. 836, no. 1, 2021.

Wojciech Wrzesinski, « L’Allemagne et la Pologne, 1918-1944-2000 », Matériaux historiques de notre temps, n°61-62, La Contemporaine, 2001.

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