De Gaulle, Malraux et la sauvegarde du patrimoine

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De Gaulle, Malraux et la sauvegarde du patrimoine

Présentation

Cette photo a Ă©tĂ© prise le 20 dĂ©cembre 1966 au Grand Trianon de Versailles, cĂŽtĂ© jardin. On y voit Charles de Gaulle et sa femme, aux cĂŽtĂ©s du prince Philip, duc d’Edimbourg. Seconde personnalitĂ© importante Ă  ĂȘtre venue depuis la rĂ©novation du Trianon, le duc d’Edimbourg y est reçu en grande pompe. Le lieu Ă©tant investi d’une symbolique monarchique, de Gaulle l’utilise pour projeter l’image qu’il se fait de la France Ă  savoir celle d’une France qui ne peut exister sans ĂȘtre « grande ». Aux yeux du GĂ©nĂ©ral, patrimoine et grandeur son donc intimement liĂ©s.

Contextualisation

Fort de son Ă©lection au suffrage universel direct en 1965, de Gaulle souhaite enfin bĂ©nĂ©ficier de la rĂ©novation du Grand Trianon impulsĂ©e par AndrĂ© Malraux en 1963.  C’est dans cette optique qu’il reçoit le Prince Philip en dĂ©cembre 1966, seulement quelques mois aprĂšs l’aboutissement des travaux. Construit Ă  partir de 1687 Ă  la demande de Louis XIV, Ă  l’extrĂ©mitĂ© du bras est du grand canal, le Grand Trianon est le fleuron architectural du domaine de Versailles. De nombreux monarques s’y succĂšdent, avant que NapolĂ©on ne le rĂ©nove et s’y installe briĂšvement. Mais tout au long du XIXĂšme siĂšcle et du dĂ©but du XXĂšme, le Grand Trianon est dĂ©laissĂ©. Sous les conseils d’AndrĂ© Malraux, de Gaulle dĂ©cide donc de le rĂ©amĂ©nager. Ces travaux d’amĂ©nagement se dĂ©clinent en deux grands axes : premiĂšrement, dans l’aile gauche, les anciens appartements de Louis-Philippe et de l’impĂ©ratrice Marie-Louise sont prĂ©servĂ©s en l’état pour servir de lieu de rĂ©sidence aux chef d’Etats Ă©trangers en visite. Dans un second temps, l’aile droite de Trianon-sous-Bois est organisĂ©e en rĂ©sidence prĂ©sidentielle. Contrastant fortement avec la simplicitĂ© de la Boisserie, Yvonne rechigne Ă  passer du temps au Trianon mais fait tout de mĂȘme acte de prĂ©sence lorsque le GĂ©nĂ©ral y reçoit des invitĂ©s. 

Analyse

Haut-lieu de la monarchie française, le chĂąteau de Versailles est donc un des Ă©difices les plus importants de l’histoire de France. De par sa raretĂ© architecturale et la place qu’il a occupĂ© dans l’histoire, le chĂąteau renvoie Ă  deux types de patrimoine : d’abord un patrimoine physique et matĂ©riel, et ensuite un patrimoine mĂ©moriel et immatĂ©riel. C’est cette double dimension qui incite le GĂ©nĂ©ral, sur les conseils de Malraux, Ă  rĂ©nover le Grand Trianon pour lui donner une seconde vie. Alors qu’AndrĂ© Malraux mĂšne dĂ©jĂ  une importante politique de sauvegarde du patrimoine, le rĂ©amĂ©nagement du Grand Trianon permet Ă  de Gaulle de concilier le double objectif de prĂ©servation du patrimoine et de valorisation de ce dernier. ObsĂ©dĂ© par l’idĂ©e de grandeur française sur la scĂšne internationale, le GĂ©nĂ©ral se fait remarquer au dĂ©but de l’annĂ©e 1966 en retirant la France du commandement intĂ©grĂ© de l’OTAN. Alors que cet Ă©pisode permet Ă  la France de se dĂ©marquer sur le plan des relation internationales, l’inauguration du Trianon Ă  la fin de l’annĂ©e 1966 fait, cette fois-ci, briller la France par son rayonnement culturel.

Mais la rĂ©novation va bien au-delĂ  d’un simple rĂ©amĂ©nagement de lieux, inoccupĂ©s depuis plus d’un siĂšcle. C’est une vĂ©ritable rĂ©gĂ©nĂ©rescence symbolique qu’orchestre de Gaulle en dĂ©cidant de consacrer l’aile droite Ă  une rĂ©sidence prĂ©sidentielle. En effet, bien que rĂ©publicain, le GĂ©nĂ©ral a grandi dans la nostalgie du rĂ©gime monarchique et compte bien en utiliser les symboles pour sa propre image. Il est notamment Ă  l’origine, par la Constitution de la VĂšme RĂ©publique, d’une fonction prĂ©sidentielle puissante aussi appelĂ©e celle du « monarque rĂ©publicain ». Le « monarque rĂ©publicain » prĂ©side donc une RĂ©publique mais ressemble Ă  un roi et doit tenter de jouir d’une pareille lĂ©gitimitĂ©. Ainsi, quoi de mieux pour de Gaulle que de rĂ©investir d’anciens appartements de la famille de Louis XIV situĂ©s dans le domaine de la rĂ©sidence principale des rois de France ?

Il est donc aisĂ© de voir comment la prĂ©servation du patrimoine matĂ©riel et mĂ©moriel peut ĂȘtre instrumentalisĂ©e Ă  des fins autres que celle de la simple sauvegarde. DĂ©jĂ  sous le feu des critiques d’une partie de la gauche en raison de son retour au pouvoir en 1958, de Gaulle pouvait donc s’attendre Ă  de futures critiques portant sur la monopolisation et la personnalisation excessive du pouvoir en rĂ©amĂ©nageant un lieu marquĂ© par l’empreinte de la monarchie


Ressources complémentaires :

Bibliographie

​BenoĂźt JĂ©rĂ©mie, 2009 , Le Grand Trianon : Un palais privĂ© Ă  l’ombre de Versailles, de Louis XIV Ă  NapolĂ©on et de Louis-Philippe au gĂ©nĂ©ral de Gaulle