Extraits de l’introduction du plan Langevin-Wallon, projet global de réforme de l’enseignement et du système éducatif français,1947

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Principes généraux

Le premier principe est le principe de justice. Il offre deux aspects complémentaires : l’égalité et la diversité. Tous les enfants, quelles que soient leurs origines familiales, sociales, ethniques, ont un droit égal au développement maximum que leur personnalité comporte. Ils ne doivent trouver d’autre limitation que celle de leurs aptitudes. La démocratisation de l’enseignement mettra chacun à la place que lui assignent ses aptitudes, pour le plus grand bien de tous. La diversification des fonctions sera commandée non plus par la fortune ou la classe sociale mais par la capacité à remplir la fonction.

L’effectif des classes devra être tel que le maître puisse utilement s’occuper de chaque élève : il ne devra en aucun cas dépasser 25.

Conséquences de ces principes

L’enseignement sera obligatoire pour tous les enfants de 6 à 18 ans. L’obligation scolaire devra donc être prolongée de 4 années.

Au-delà de 18 ans, un second degré d’enseignement s’ouvrira à ceux, et à ceux-là seulement, qui se seront révélés capables d’en profiter.

L’enseignement public doit être gratuit à tous les degrés. Il est indispensable, si chacun doit occuper la place où il est susceptible de rendre le plus de services, que le recrutement de l’enseignement supérieur soit déterminé par les aptitudes et non par le rang social ou le niveau de fortune. Pour s’ouvrir à tous ceux qui peuvent en bénéficier, l’enseignement supérieur doit, lui aussi, être gratuit.

La gratuité serait un leurre si on la limitait à la suppression des frais d’études sans s’inquiéter des conditions et des moyens de vie des élèves et des étudiants. La gratuité de l’enseignement ne peut être effective que si on instaure un régime nouveau et plus réaliste pour l’attribution des bourses, si on prévoit l’allocation d’un présalaire, si l’on considère enfin l’étudiant comme un travailleur qu’il est en réalité, et qu’on lui alloue un salaire en rapport avec les services qu’il rend et qu’il est appelé à rendre à la collectivité.

Titre : Extraits de l’introduction du plan Langevin-Wallon, projet global de réforme de l’enseignement et du système éducatif français,1947.

Source : Rapport Langevin-Wallon, réédition commentée, 2002

© Editions Mille et une nuits

 

Présentation

La commission Langevin-Wallon (du nom de deux intellectuels proches du parti communiste, Paul Langevin et Henri Wallon) est chargée à la Libération de réfléchir à la démocratisation de l’enseignement, conformément au programme du CNR. Le plan présenté ici est le fruit de la réflexion menée par cette commission.

Contextualisation

René Capitant, commissaire à l’Instruction publique du Comité Français de Libération Nationale, puis ministre de l’Education nationale du Gouvernement Provisoire de la République Française, nomme le 8 novembre 1944 une « commission ministérielle d’études pour la réforme de l’enseignement ». Celle-ci élabore un projet global de réformes qui s’inscrit dans la continuité des thèmes élaborés par Jean Zay sous le Front populaire. Il est remis au second gouvernement Paul Ramadier en juin 1947.

Analyse

Le plan Langevin-Wallon envisage d’instaurer un enseignement gratuit, laïc et obligatoire jusqu’à l’âge de 18 ans. Après le cycle non obligatoire de la maternelle, trois cycles seraient obligatoires : un premier cycle serait commun à tous, de 7 à 11 ans (des écoles spéciales seraient toutefois prévues pour les enfants présentant des « déficiences mentales et morales » et pour « infirmes »). Les élèves de 11 à 15 ans suivraient un deuxième cycle d’orientation : il s’agirait d’une scolarité unique par la fusion des cours complémentaires, collèges et lycées préexistants, avec un enseignement en partie commun et en partie optionnel pour éprouver « les goûts et les aptitudes » des enfants.

Puis, de 15 à 18 ans, ils seraient orientés dans une section pratique préparant au Certificat d’Aptitude Professionnelle ou une section professionnelle préparant au Brevet d’Education Professionnelle ou enfin une section théorique préparant au baccalauréat. Le plan Langevin-Wallon préconise aussi des conditions précises d’organisation des enseignements (25 élèves maximum par classe, respect des rythmes biologiques avec des horaires suggérés : par exemple 2 heures par jour de 7 à 9 ans, 4 heures par jour de 11 à 13 ans…), et une « pédagogie active ». Il prévoit la création d’un corps de psychologues scolaires et l’organisation d’une éducation morale et civique. Il préconise l’attribution de bourses, d’un « présalaire » entre 15 et 18 ans et la gratuité des études supérieures, et envisage la réorganisation de la formation des enseignants. Il insiste, enfin, sur le nécessaire effort financier qu’implique la mise en œuvre de cette profonde réforme du système éducatif, dans le contexte de la reconstruction d’après-guerre.

Mais ce projet n’est ni discuté par le gouvernement ni présenté devant le parlement : en effet en juin 1947, le contexte politique lui est moins favorable : la Guerre froide débute et les ministres communistes sont exclus du gouvernement Ramadier. Le plan Langevin-Wallon et la grande réforme démocratique du système éducatif restent ainsi, pour l’essentiel, lettre morte. Cependant, ce plan constitue depuis une référence, en particulier pour les syndicats et partis politiques de gauche. Il est par ailleurs en partie repris, de façon empirique, sous la Ve République.

Ressources complémentaires :

 

Bibliographie

Rapport Langevin-Wallon, éd. Mille et une nuits, 2002, réédition commentée par Claude Allègre, François Dubet et Philippe Meirieu.

Ludivine Bantigny, Jenny Raflik, Jean Vigreux, La société française de 1945 à nos jours, Paris, La documentation photographique n° 8107, septembre-octobre 2015, La documentation française, pp. 36 37.

Laurent Gutierrez, Pierre Kahn(dir.), Le Plan Langevin-Wallon. Histoire et actualité d’une réforme de l’enseignement. Nancy, Presses universitaires de Nancy/Éditions universitaires de Lorraine, 2016.

Antoine Léon, Pierre Roche, Histoire de l’enseignement en France, Que-sais-je ?, Paris, éditions PUF, 2012.

Michelle Zancarini-Fournel, Christian Delacroix, 1945-2005 La France du temps présent, Paris, Belin, 2014.

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