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« La voie européenne de Charles de Gaulle : Pas ensemble, mais côte à côte »

Source : cvce.eu © Ekö – Freie Presse 

De gauche à droite : Amintore Fanfani, président du Conseil italien (1960-1963) ; Jan Eduard de Quay, Premier ministre des Pays-Bas (1959-1963) ; Gaston Eyskens, Premier ministre belge (1958-1961) ; Charles de Gaulle, Président de la République française (1958-1969) ; Konrad Adenauer, Chancelier de la RFA (1949-1963) ; Paul-Henri Spaak, secrétaire général de l’OTAN (1957-1961) mais considéré comme un des « Pères de l’Europe ». Pierre Werner, le Premier ministre luxembourgeois (1959-1974) n’est pas représenté. – Téléchargement

Présentation 

La caricature d’Ekö, de son vrai nom Egon Körbi  (1920-1990) du 7 septembre 1960 montre les Six, se tenant par le bras marchant allègrement sur la route de l’Europe. Charles de Gaulle, de sa haute stature, imprime son rythme à la marche en sifflotant et ne se préoccupe pas des conditions  de marche de ses partenaires. Amitore Fanfani, président du Conseil italien à gauche et  Paul-Henri Spaak, un des « Pères de l’Europe »  à droite sont d’ailleurs obligés de patauger dans les flaques d’eau dans les bas-côtés de la route. De leur côté, Gaston Eyskens, premier ministre belge et Konrad Adenauer, le chancelier allemand essaient tant bien que mal de rester sur la route. Pour sa part, Jan Eduard de Quay, Premier ministre des Pays-Bas y réussit. Pierre Werner, le Premier ministre luxembourgeois n’est pas représenté. La légende de la caricature, « La voie européenne de Charles de Gaulle : Pas ensemble, mais côte à côte » veut signifier la conception européenne de Charles de Gaulle. Meneur du groupe, il entraîne vigoureusement ses partenaires sous sa conduite en leur accordant peu d’attention.

Contextualisation

Ekö réagit promptement à la conférence du 5 septembre 1960.  Charles de Gaulle y propose sa vision de la construction politique de l’Europe. Il  fait l’apologie de l’Europe des États et de la coopération politique par un « concert organisé, régulier des gouvernements responsables » et par « une assemblée qui soit formée par les délégués des parlements nationaux ». Ces propositions reprennent des éléments de la rencontre franco-allemande de Rambouillet du 30 juillet 1960. Charles de Gaulle suggérait une organisation politique indépendante, une « entité réelle »  confédérant les États-nations.   Il s’agissait de préserver la souveraineté de chaque État et ne pas imposer d’institutions dominant les États. De Gaulle rejette ainsi la supranationalité des « Pères fondateurs » au profit de la confédération d’États souverains.

Analyse

Dans un premier temps, Ekö met l’accent sur  l’individualisation de chaque personnage représentant un État, même si le Luxembourg n’est pas représenté ce qui en dit long sur le rôle politique joué par cet État vu de l’Allemagne. Il fait ainsi écho aux  propositions de Charles de Gaulle qui souhaite une « Europe des patries ». Ekö met également l’accent sur la coopération entre les États de la CEE puisque les personnages se tiennent la main. Il reprend les convictions gaullistes. De Gaulle sait bien que cette coopération est nécessaire en raison des progrès techniques et de l’intensification des échanges économiques mais aussi de la guerre froide.

Toutefois, l’image est centrée sur de Gaulle qui mène la marche. Ekö ironise ici sur la volonté du général de Gaulle de dominer l’Europe et de s’appuyer sur elle pour faire de la France un acteur international et pour retrouver sa puissance perdue. Pourtant, de Gaulle est réaliste, il ne s’agit pas de faire de la France une superpuissance, elle n’en a pas les moyens. Mais possédant selon Maurice Vaïsse une « conception volontariste de l’histoire », le Général s’adapte à la situation en utilisant les moyens donnés par la configuration européenne. La France doit être l’élément central et moteur de l’Europe. Elle doit occuper le premier rang en Europe en raison de sa position géographique unique, de son rôle historique, de son rang enfin de grande puissance. La France occupe ainsi un siège permanent au Conseil de l’OTAN et elle est devenue une puissance atomique depuis  février 1960. Les trois pays du Benelux ne peuvent prétendre à cette place, en raison de leur faible poids démographique ou économique et l’Italie et l’Allemagne sont encore marquées par la guerre. Le dessein européen trop centré sur la France ne peut être acceptable par ses partenaires européens.

Ressources complémentaires :

Bibliographie 

Michel Dumoulin, Duchenne Geneviève et Van Laer Arthe, (dir.), La Belgique, les petits États et la construction européenne, Bruxelles, PIE-Peter Lang, 2003.

Pierre Gerbet, 1957. La Naissance du Marché Commun, Bruxelles, Éditions Complexe, [1987], 2007.

Pierre Maillard, De Gaulle et l’Europe entre la nation et Maastricht, Paris, Tallandier, 1995.

Christine Manigand, «  L’Europe ? L’Europe ! », in Jean Garrigues, Sylvie Guillaume, Jean-François Sirinelli (dir.), Comprendre la Ve République, Paris, PUF, 2010.

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