Document audio : L’absence du général de Gaulle à Yalta (4’48)

© Keystone/Getty Images

Présentation

Dans cette émission radiophonique hebdomadaire diffusée le 10 février 1945, le journaliste et résistant Roger Massip analyse un discours du général de Gaulle prononcé le 5 février alors même que commence, en Crimée, la conférence de Yalta (4-11 février 1945). Roger Massip évoque plus largement la question de la sécurité de la France dans la nouvelle Europe puis les projets des Alliés concernant la poursuite de la guerre, l’administration de la future Allemagne occupée et l’attitude soviétique à cet égard.

Contextualisation

Du 4 au 11 févier 1945, les « Trois » (Winston Churchill, Franklin D. Roosevelt et Joseph Staline) se rencontrent à Yalta, une station balnéaire de Crimée, alors que l’Armée rouge est à 80 km de Berlin. L’heure est au règlement du sort de l’Allemagne et de l’Europe. En octobre 1944, le Gouvernement provisoire de la République française, réinstallé depuis l’été dans Paris libéré, a enfin été reconnu par les Alliés. La France, pourtant, n’est pas invitée à Yalta.

Analyse

Dès le 15 janvier 1945, le gouvernement provisoire dirigé par le général de Gaulle a vivement protesté contre l’exclusion de la France de la conférence de Yalta. La crainte exprimée par de Gaulle d’être évincé du règlement de la paix, évoquée par le journaliste et résistant Roger Massip en introduction de son analyse, est alors générale, et l’absence d’invitation à Yalta est ressentie comme une humiliation supplémentaire après la fin de quatre années d’occupation. Dans son discours du 5 février, relaté indirectement par le journaliste, de Gaulle affirme alors que la France ne se sentira pas engagée par les décisions prises en Crimée sans son assentiment.

Comment expliquer cette absence ? Les Américains se méfient du général de Gaulle : Roosevelt le considère comme un apprenti-dictateur. Les Soviétiques ne sont pas convaincus par la politique du contrepoids continental envisagée par de Gaulle. Quant à Churchill, il est le seul à vouloir ménager la France pour en faire un allié potentiel sur le continent face à Staline. À partir de 1947, de Gaulle présentera toujours Yalta comme un « partage du monde », voire comme un « abandon » de l’Europe aux appétits de Staline. Si on l’envisage du point de vue des exigences répétées par de Gaulle le 5 février, c’est en effet un échec : il n’obtient pas la « garde du Rhin », c’est-à-dire sa rive gauche ; l’alliance avec l’URSS s’avère vite décevante, celle avec le Royaume-Uni, signée en 1947 à Dunkerque et dirigée contre l’Allemagne, est surtout réactivée par le Président du Conseil Georges Bidault après le départ de De Gaulle ; début 1945, l’indépendance des pays de l’Est, à commencer par la Pologne, est déjà remise en cause.

La crainte d’un réarmement allemand, d’une renaissance de l’Allemagne militariste, est encore très vivace en France, qui vient de sortir de quatre années d’occupation ; c’est la raison pour laquelle le journaliste s’inquiète des rumeurs qui entourent l’usage que les Soviétiques envisagent de faire du Comité de l’Allemagne libre, composé de généraux allemands prisonniers, à commencer par le maréchal Paulus, le vaincu de Stalingrad. Cette émission reflète donc parfaitement les inquiétudes plus ou moins fondées qui traversent alors l’opinion publique française.

Pourtant, en dépit de son absence humiliante, la France obtient beaucoup à Yalta, en particulier un siège au Conseil de Sécurité de l’ONU, une zone d’occupation en Allemagne et sa participation au Comité interallié chargé de son administration provisoire. En fait, le général de Gaulle avait déjà fait des concessions importantes à Staline fin 1944 (doc. 4). Il ne croyait pas au succès de Yalta et entrevoyait dès février 1945 les « rivalités » qui allaient diviser les vainqueurs. Le 8 mai 1945, la France fait partie des vainqueurs signataires de la capitulation allemande. Mais si, pour de Gaulle, la France devait retrouver son rang, cela devait venir, ou du moins paraître venir, de sa propre initiative, et non de décisions prises par d’autres, en son absence.

Ressources complémentaires :

 

Bibliographie

Anne Applebaum, Rideau de fer : l’Europe de l’Est écrasée, Paris, Gallimard, 2014.

Frédéric Bozo, French Foreign Policy since 1945 : an Introduction, New York, Berghahn, 2016.

Sitographie

Georges-Henri Soutou, « De Gaulle, le « quartus gaudens » à Yalta », colloque « Février 1945, la conférence de Yalta, géopolitique d’un désastre pour la Pologne et pour l’Europe », 21 févier 2015 : https://www.youtube.com/watch?v=-FBQarTrLco

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