Ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental
Exposé des motifs
La libération du territoire continental doit être d’une manière immédiate accompagnée du rétablissement de la légalité républicaine en vigueur avant l’instauration du régime imposé à la faveur de la présence de l’ennemi.
Le premier acte de ce rétablissement est la constatation que « la forme du gouvernement de la France est et demeure la République. En droit celle-ci n’a pas cessé d’exister ».
C’est l’objet de l’article premier du projet ci-annexé.
[…]
Tout ce qui est postérieur à la chute, dans la journée du 16 juin 1940 du dernier gouvernement légitime de la République est évidemment frappé de nullité.
Cependant, des considérations d’intérêt pratique conduisent à éviter de revenir sans transition aux règles de droit en vigueur à la date susdite du 16 juin 1940 et à observer dans ce but soit une période transitoire comportant le maintien provisoire de certains effets de droit, soit même la validation définitive de certaines situations acquises dont le renversement apporterait au pays un trouble plus considérable que leur confirmation.
[…]
Telle est l’ordonnance portant rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental, c’est-à-dire en France métropolitaine, exception faite de la Corse, où la situation législative, résultant d’une libération antérieure aux dispositions ainsi prises, appelle un texte particulier qui interviendra incessamment.
Elle a pour but immédiat de libérer le pays de la réglementation d’inspiration ennemie qui l’étouffait, mais aussi de lui éviter le désordre juridique ou même l’incertitude.
Sans doute elle appelle d’autres textes, mais sur le plan législatif elle est un acte de libération déjà décisif.
Ordonnance
Le Gouvernement provisoire de la République française,
Sur le rapport du commissaire à la justice ;
Vu l’ordonnance du 3 juin 1943 portant institution du Comité français de la Libération nationale, ensemble l’ordonnance du 8 juin 1944 ;
Vu l’avis exprimé par l’Assemblée consultative à sa séance du 20 juin 1944 ;
Le comité juridique entendu,
Ordonne :
Article premier.
La forme du gouvernement de la France est et demeure la République. En droit celle-ci n’a pas cessé d’exister.
Article 2.
Sont, en conséquence, nuls et de nul effet tous les actes constitutionnels, législatifs ou réglementaires, ainsi que les arrêtés pris pour leur exécution, sous quelque dénomination que ce soit, promulgués sur le territoire continental postérieurement au 16 juin 1940 et jusqu’au rétablissement du Gouvernement provisoire de la République française.
Cette nullité doit être expressément constatée.
Article 3.
Est expressément constatée la nullité des actes suivants :
– l’acte dit « loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 »,
– tous les actes dits : « actes constitutionnels »,
– tous les actes qui ont institué des juridictions d’exception,
– tous les actes qui ont imposé le travail forcé pour le compte de l’ennemi,
– tous les actes relatifs aux associations dites secrètes,
– tous ceux qui établissent une ou appliquent une discrimination quelconque fondée sur la qualité de juif.
[…]
Titre : L’ordonnance du 9 août 1944
Source : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006071212
Présentation
L’ordonnance du 9 août 1944, qui n’est pas soumise au vote d’une assemblée législative, est un texte promulgué par le GPRF (Gouvernement Provisoire de la République française) dirigé par le général de Gaulle. Rédigées par les juristes François de Menthon et René Cassin et publiées au Journal Officiel à Alger, ses dispositions ont force de loi sur le territoire français.
Contextualisation
L’ordonnance du 9 août 1944 s’inscrit au début de la libération de la France : en dehors du Maghreb et de la Corse, libérés dès 1942-1943, seules la Normandie et la Bretagne sont reprises aux forces allemandes. Pourtant, dès le 3 juin, trois jours avant le débarquement de Normandie par les troupes alliées, est formé le GPRF qui affirme ainsi la souveraineté nationale auprès des alliés, notamment des Etats-Unis.
Analyse
L’ordonnance du 9 août 1944 rétablit la « légalité républicaine » en considérant la perpétuation de la République portée par le général de Gaulle et la France libre depuis juin 1940. L’ordonnance du 9 août 1944 consacre cette position de principe qui établit le statut constitutionnel de la France libre au profit de la négation de Vichy.
Cette ordonnance institue une damnatio memoriae contre Vichy : sont annulés rétroactivement les actes portant atteinte aux principes fondamentaux de la République. Vichy est en effet considéré comme une autorité inconstitutionnelle et illégitime car ses « actes » sont inspirés par « la présence de l’ennemi ».
Toutefois, cette ordonnance procède à un traitement différencié de l’héritage de Vichy. Si les lois et décrets de discrimination ou de juridictions spéciales sont annulés, une grande partie des 16 786 actes produits par le régime de Vichy est provisoirement reçue par la France libre.
L’ordonnance du 9 août 1944 institue donc une succession négative avec Vichy qui permet de légitimer l’action de la France libre et de rattacher ses actes à une légalité républicaine d’exception. Elle fonde enfin la mémoire du général de Gaulle sur la défense des valeurs républicaines et sur une conception de la légitimité de l’Etat indissociable de la défense de l’indépendance nationale.
Ressources complémentaires :
Bibliographie
– Le rétablissement de la légalité républicaine (1944), actes du colloque 6, 7, 8 octobre 1994 organisé par la Fondation Charles de Gaulle, la Fondation nationale des Sciences politiques, l’Association française des constitutionnalistes (et la participation de l’université de Caen), Bruxelles, Editions Complexe, 1996.
– ANDRIEU Claire (dir.), Dictionnaire Charles de Gaulle, Paris, Robert Laffont, 2006.
– CARTIER Emmanuel, La transition constitutionnelle en France (1940 – 1945) : la reconstruction révolutionnaire d’un ordre juridique « républicain », Paris, LGDJ, 2005.
– LE CROM Jean-Pierre, « L’avenir des lois de Vichy », dans Bernard Durand, Jean-Pierre Le Crom, Alessandro Somma. Le droit sous Vichy, Francfort s/Main, Klostermann, 2006, pp. 453-478.