Un président issu d’une démocratie directe et élargie…
« Quand sera terminé mon propre septennat, ou si la mort ou la maladie l’interrompait avant le terme, le Président de la République sera dorénavant élu au suffrage universel. Par quelle voie, sur ce sujet qui touche tous les Français, par quelle voie convient-il que le pays exprime sa décision ? Je réponds. Par la plus démocratique, par la voie du référendum. C’est aussi la plus justifiée.
Car le peuple français, qui détient la souveraineté nationale, la détient aussi évidemment dans le domaine constituant. D’ailleurs, c’est du suffrage de tous les citoyens que procède l’actuelle Constitution où demeurant, celle-ci spécifique, le peuple exerce sa souveraineté soit par ses représentants, soit par le référendum.
Si le texte prévoit une procédure déterminée dans le cas où la révision aurait lieu dans le cadre parlementaire. Il prévoit aussi, de la façon la plus simple et la plus claire, que le Président de la République peut proposer au pays, par voie de référendum, tout projet de loi. Je souligne, tout projet de loi concernant l’organisation des pouvoirs publics. Ce qui englobe, bien évidemment, le mode d’élection du Président.
Le projet que je me dispose à soumettre au peuple français le sera donc dans le respect de la Constitution, que sur ma proposition il s’est à lui-même donné. »
Titre : Extraits (14’30-17’01) de la retranscription de l’allocution télévisée du 20 septembre 1962
Source : Charles de Gaulle/Paroles publiques (https://fresques.ina.fr/de-gaulle/fresque)
Présentation
Cette allocution, en date du 20 septembre 1962, est diffusée sur les stations et les chaînes de la RTF, alors organe public en charge de l’audiovisuel. Comme il en a pris l’habitude depuis 1958, de Gaulle utilise la télévision : l’image permet à sa parole d’avoir plus de poids et de mieux convaincre les Français.
Contextualisation
De Gaulle est élu président en 1958 par un collège d’environ 80 000 électeurs (députés, sénateurs, conseillers généraux, représentants des conseils municipaux et des territoires d’outre-mer). Mais le mode d’élection pour le mandat suivant, prévu à partir de 1965, n’est pas défini. Après l’attentat du Petit-Clamart le 22 août 1962, le Général pose la question de sa succession.
Analyse
L’accession à la présidence de la République en 1958 rejoint le prestige que l’Histoire a déjà conféré à de Gaulle : « le premier des Français devient le premier en France » déclare René Coty.
Pourtant le Général veut aller plus loin : « La légitimité m’a été conférée par l’Histoire. Il faut désormais que la légitimité soit directement conférée par le souverain, c’est-à-dire par le peuple » (Alain Peyrefitte).
L’attentat du Petit-Clamart un mois avant l’allocution sert d’accélérateur à la volonté de réforme de l’élection présidentielle : au cas où de Gaulle ne peut finir son mandat, qui pour lui succéder et selon quel mode d’élection ? La réponse est alors d’une grande clarté : « le Président de la République sera dorénavant élu au suffrage universel [direct] ».
Le Général se place plusieurs fois sous le paravent de la Constitution pour justifier sa décision, comme s’il cherchait à se prémunir contre d’éventuelles critiques. S’agit-il d’un simple « projet de loi » qu’il est possible de soumettre directement aux Français ? Ou alors d’une « révision constitutionnelle » qui nécessite d’abord un vote des deux chambres avant que le texte soit l’objet d’un référendum ? La seconde interprétation est de loin la plus partagée par les constitutionnalistes. Gaston Monnerville, président du Sénat, dénonce alors une « forfaiture » qui conduit à une perte des prérogatives du Parlement, voire à « un renforcement du pouvoir personnel ».
62,25 % des votants acceptent que le président soit élu au suffrage universel direct. Avec cette réforme majeure, de Gaulle renforce son pouvoir et légitime incontestablement celui de ses successeurs.
Ressources complémentaires :
Bibliographie
Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Paris, Quarto Gallimard, 2002.
Serge Bernstein, La France de l’expansion, t.1 La République gaullienne, Paris, Seuil, 1989.
Michel Winock, La mêlée présidentielle, Paris, Flammarion, 2007.