Visite d’Alain Juppé à Colombey-les-Deux-Eglises en 2016
HÉRITAGE – En mauvaise posture face à François Fillon avant le second tour de la primaire de la droite et du centre, Alain Juppé s’est rendu en 2016 à Colombey-les-Deux-Églises. Le maire de Bordeaux s’est recueilli sur la tombe du général de Gaulle, essayant ainsi de se placer comme son héritier politique avant le vote de dimanche.
La visite d’Alain Juppé à Colombey-les-Deux-Églises n’était pas prévue. Le candidat à la primaire de la droite a averti la presse de son passage dans le village où repose le général de Gaulle quelques heures avant sa venue. “J’allais à Nancy (où se tiendra son meeting ce vendredi soir, ndlr) puis je me suis dit que sur la route, ça valait la peine de faire ce détour car comme vous le savez, j’aime venir à Colombey. C’est un lieu où je ressens toujours une émotion particulière. Le site est impressionnant et en plus j’ai des amis” s’est-il justifié auprès des journalistes qui lui demandaient des explications sur sa visite.
Outre l’attachement d’Alain Juppé pour les lieux, impossible de ne pas y voir un signe politique avant le scrutin de dimanche. Le maire de Bordeaux n’est pas en position favorable, et se placer comme l’héritier politique du général de Gaulle auprès de l’électorat de droite ne fait jamais de mal. “En ce moment un peu trouble, c’est toujours bien de se ressourcer, de retrouver ses racines politiques” a expliqué le finaliste. “Les miennes sont gaullistes. Je pense que le message du général de Gaulle reste tout à fait d’actualité. Son message pour moi il est double : c’est d’abord un attachement charnel à la patrie, à la nation, à la France. Et puis le gaullisme pour moi, c’est aussi un humanisme, le gaullisme social, une certaine vision de l’homme. N’oublions pas que c’est le général de Gaulle, avec le conseil national de la résistance qui a fondé la sécurité sociale.”
Impossible dans cette dernière citation d’Alain Juppé de ne pas y voir un nouveau tacle à François Fillon. Les deux hommes sont en effet en désaccord sur la façon de redresser les comptes de la Sécu, et se sont écharpés à ce sujet lors du débat de jeudi soir.
Titre : Visite d’Alain Juppé à Colombey-les-Deux-Eglises en 2016
Source : Justine Faure, « En se recueillant à Colombey-les-Deux-Eglises, Juppé cherche à se placer comme l’héritier du général de Gaulle », LCI, mise en ligne le 25 novembre 2016 à 18h05
© LCI
Présentation
L’article in extenso de la journaliste politique Justine Faure pour le site Internet de la chaîne d’information en continu LCI est mis en ligne le 25 novembre, c’est-à-dire durant l’entre-deux tours de la campagne électorale de la primaire de la droite et du centre à quelques heures du clap de fin de la campagne officielle qui s’achève le soir-même à minuit. Il montre le recours d’Alain Juppé à la figure tutélaire de Charles de Gaulle afin d’essayer de se rallier les voix des gaullistes convaincus.
Contextualisation
Deux jours avant le scrutin du deuxième tour de la primaire de la droite et du centre, Alain Juppé, candidat finaliste face à François Fillon, effectue une halte devant la tombe du général de Gaulle à Colombey-les-Deux-Églises en compagnie des journalistes qui couvrent l’actualité politique ; un moyen pour le maire de Bordeaux de réclamer l’entièreté de l’héritage gaulliste et s’adjoindre, si possible, le dimanche suivant le plus de voix possible en provenance des électeurs de la droite et du centre qui se réclament peu ou prou du gaullisme.
Analyse
Durant la campagne de la droite et du centre, processus visant à présenter un candidat unique aux élections présidentielles de 2017 pour cinq partis politiques (Les Républicains, le Parti chrétien-démocrate, le Centre national des indépendants et paysans, l’Union des démocrates indépendants et le Mouvement Démocrate), nombre des candidats présents tels Nathalie Kosciusko-Morizet, Alain Juppé ou François Fillon se réclament du gaullisme et se présentent comme des héritiers naturels du général de Gaulle. Cet attachement à la figure tutélaire qu’est Charles de Gaulle et à tout ou partie de son œuvre et de son héritage est finalement assez peu surprenant puisque effectivement les candidats présents à la tribune dans le cadre de cette primaire appartiennent peu ou prou à la famille gaulliste. Bien sûr, il existe des divergences entre un Alain Juppé qui se présente alors comme un candidat plus « social » tandis que François Fillon apparaît comme le candidat d’une ligne plus dure et plus austère.
Pourtant, si presque tous les candidats se réclament du général de Gaulle, il semble évident que la pratique même de l’organisation d’une primaire n’appartient pas à l’ADN du gaullisme.
D’abord parce que le gaullisme politique se construit, au départ et selon les vœux mêmes du général, comme un courant où la démocratie interne existe peu tout en critiquant à l’extérieur du mouvement le « surpoids » des parlementaires (dans le contexte de la Quatrième République). Ainsi, dans le cadre du RPF, le chef incontesté et non élu mais nommé à la tête du parti se trouve Charles de Gaulle ; le « comité exécutif » du RPF est nommé par le général de Gaulle et les cadres du parti sont prioritairement recrutés parmi les anciens résistants ; les élus du RPF sont volontairement exclus des appareils de direction centraux et locaux ; les congrès du parti, dénommés « Assises », se limitent à un rituel d’adhésion ; si les sections désignent leurs dirigeants, c’est sous le contrôle de délégués nommés par l’appareil central, placé sous la surveillance du secrétaire général.
Ensuite parce que tous les partis politiques qui se réclament du gaullisme, se sont construits – et ont construit leurs victoires électorales – autour de la figure tutélaire d’un chef unique et quasiment incontesté : le RPR de Jacques Chirac en 1986, l’UMP de Nicolas Sarkozy en 2007, etc.
Une fois élu, François Fillon revendique de nouveau cet héritage gaulliste dans une interview faite en direct pendant le journal télévisé de 20h sur TF1, le mardi 3 janvier 2017, lorsqu’il déclare « je suis gaulliste et de surcroît je suis chrétien, ça veut dire que je ne prendrai jamais une décision qui sera contraire au respect de la dignité humaine, au respect de la personne humaine, au respect de la solidarité. » Cette déclaration n’a en soit rien de surprenante puisque François Fillon appartient effectivement et de longue date au mouvement gaulliste. Ce qui l’est davantage c’est qu’au cours de cette campagne électorale des présidentielles 2017, sur les onze candidats engagés, sept se réclament directement du gaulliste ou utilisent la référence à Charles de Gaulle en leur faveur : Jacques Cheminade (0,18% des suffrages), François Asselineau qui « est un véritable nostalgique de la France du général de Gaulle, et ne s’en cache pas » (0,92%), Jean Lassalle (1,21%), Nicolas Dupont-Aignan (4,70%), François Fillon (20,01%), Marine Le Pen (21,30%), Emmanuel Macron (24,01%). Même Jean-Luc Mélenchon cite au cours de cette campagne le général de Gaulle. C’est sans doute trop pour un seul homme, comme le soulignent Sudhir Hazareesingh et certains articles de presse.
Bien avant son élection, durant la campagne électorale mais surtout depuis son élection, Emmanuel Macron ou les commentateurs politiques n’ont de cesse que de comparer le chef de file d’En Marche ! et le général de Gaulle.
D’abord, chez Macron, de Gaulle exerce une forme de fascination au regard de la posture du chef d’État comme il le souligne lorsqu’il déclare : « la démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude, car elle ne se suffit pas à elle-même. Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du Roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le Roi n’est plus là ! On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d’y placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l’espace. On le voit bien avec l’interrogation permanente sur la figure présidentielle, qui vaut depuis le départ du général de Gaulle. Après lui, la normalisation de la figure présidentielle a réinstallé un siège vide au cœur de la vie politique. Pourtant, ce qu’on attend du président de la République, c’est qu’il occupe cette fonction. Tout s’est construit sur ce malentendu. » Cette importance de l’héritage gaullien dans la posture présidentielle d’Emmanuel Macron se retrouve dans les choix opérés pour le portrait officiel du président de la République puisque sur le bureau situé dans le salon doré se trouve trois livres issus de la collection la Pléiade ; deux sont fermés (Les Nourritures terrestres d’André Gide et le Rouge et le Noir de Stendhal), l’un est ouvert : les Mémoires de guerre du général de Gaulle, initialement publiées en trois volumes de 1954 à 1959.
Pour Laurent Warlouzet, il existe des points de rencontre mais aussi d’achoppements entre ces deux hommes politiques qui incarnent une forme de rupture politique puisque « se profile, en 2017 comme en 1958, une recomposition majeure du système politique, avec un profond renouvellement du personnel politique et une mutation du système partisan. La personnalisation du débat, avec un mouvement En Marche aux initiales d’Emmanuel Macron, a aussi été un marqueur. »
Enfin, selon Olivier Duhamel, en septembre 2017, est venu le temps de la rencontre entre le chef de l’État et la Nation autour de thèmes centraux et cruciaux : la place de la France dans l’Europe politique et dans le monde ainsi que les importantes réformes pour moderniser la France. Autant d’éléments qui ont constitué des réussites du général Charles de Gaulle devenu président de la République en 1958 – dans le cadre d’une constitution alors taillée sur mesure.
Ressources complémentaires :
Bibliographie
Alain Bergounioux, « Primaires or not primaires? », Pouvoirs, vol. 138, n° 3, 2011, pp. 47-56.
Sitographie
« L’héritage disputé du général de Gaulle », L’Obs, 9 novembre 2010, http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20101109.OBS2559/l-heritage-dispute-du-general-de-gaulle.html
« À Lyon, Macron se prend pour De gaulle », L’Express, 6 février 2017, http://www.lexpress.fr/actualite/politique/lrem/a-lyon-macron-se-prend-pour-de-gaulle_1876095.html
« Portrait : François Asselineau, le candidat nostalgique », TV5 Monde, 8 avril 2017, http://information.tv5monde.com/info/portrait-francois-asselineau-le-candidat-inconnu-du-frexit-162264
« Présidentielle, Jean Lassalle dessine son projet », La Croix, 14 avril 2017, http://www.la-croix.com/France/Politique/Presidentielle-Jean-Lassalle-dessine-projet-2017-04-14-1200839677
Jacques Cheminade, « Mon exemple, c’est le général de Gaulle partant à Londres », 24 avril 2017, http://jacquescheminade.fr/Jacques-Cheminade-Mon-exemple-c-est-le-general-de-Gaulle-partant-a-Londres
Laurent Warlouzet, « Macron 2017, de Gaulle 1958 : un parallèle tentant », La Tribune, 27 avril 2017, http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/macron-2017-de-gaulle-1958-un-parallele-tentant-697775.html
« Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan peuvent-ils se réclamer du gaullisme ? », BFMtv, 30 avril 2017 : http://www.bfmtv.com/politique/marine-le-pen-et-nicolas-dupont-aignan-peuvent-ils-se-reclamer-du-gaullisme-1153982.html
« Le petit-fils du général de Gaulle charge Dupont-Aignan et le FN », BFMtv, 2 mai 2017 : http://www.bfmtv.com/politique/le-petit-fils-du-general-de-gaulle-charge-dupont-aignan-et-le-fn-1155027.html
« De Gaulle, un héritage disputé par tous », L’Express, 2 mai 2017, http://www.lexpress.fr/actualite/politique/elections/de-gaulle-un-heritage-dispute-par-tous_1904406.html
Sudhir Hazareesingh, « Marine Le Pen est-elle gaulliste ? », Le Monde, 6 mai 2017 : http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/video/2017/05/06/marine-le-pen-est-elle-gaulliste-le-regard-d-un-specialiste-du-general-de-gaulle_5123584_4854003.html
Olivier Duhamel et Géraldine Muhlmann, « Mediapolis », Europe1, 2 septembre 2017, 28’55 à 31’05 : http://www.europe1.fr/emissions/mediapolis/mediapolis-020917-3425411