De Gaulle et la Défense nationale
champignon nucléaire de Gerboise bleue, essai nucléaire français, 13 février 1960
Place dans les programmes
Programme de collĂšge :
- TroisiĂšme â ThĂšme 3 : « Françaises et Français dans une RĂ©publique repensĂ©e », sous-thĂšme 2 : « La Ve RĂ©publique, de la RĂ©publique gaullienne Ă lâalternance et Ă la cohabitation ».
(BO spécial n°11 du 26 novembre 2015)
- TroisiĂšme. EMC â « Lâengagement : agir individuellement et collectivement » ; connaissances, capacitĂ©s et attitudes visĂ©es : « ConnaĂźtre les grands principes qui rĂ©gissent la DĂ©fense nationale ».
(BO spécial n°11 du 26 novembre 2015)
Programmes de lycée :
Programme de seconde générale et technologique
- Axe 1 : « Des libertés pour la liberté ».
(BO spécial n°1 du 25 janvier 2019)
Programme de terminale générale (tronc commun)
- ThÚme 2 : « La multiplication des acteurs internationaux dans un monde bipolaire (de 1945 au début des années 1970) », chapitre 3 : « La France : une nouvelle place dans le monde ».
(BO spécial n°8 du 25 juillet 2019)
Programme de terminale technologique
- ThÚme 3 : « La France de 1945 à nos jours : une démocratie », question obligatoire : « La France depuis 1945 : politique et société ».
(BO spécial n°8 du 25 juillet 2019)
Programme de terminale HGGSP
- ThĂšme 1 : « De nouveaux espaces de conquĂȘte », axe 1 « ConquĂȘtes, affirmations de puissance et rivalitĂ©s » et jalon « Affirmer sa puissance Ă partir des mers et des ocĂ©ans : la dissuasion nuclĂ©aire et les forces de projection maritimes ».
(BO spécial n°8 du 25 juillet 2019)
Programme de CAPÂ
- ThĂšme 1 : « La France de la RĂ©volution française Ă la Ve RĂ©publique : lâaffirmation dĂ©mocratique ».
(BO spécial n°5 du 11 avril 2019)
- EMC. Second thÚme : « La protection des libertés : défense et sécurité ».
(BO spécial n°5 du 11 avril 2019)
Programme de PremiĂšre professionnelle
- Second thÚme : « Préserver la paix et protéger des valeurs communes : défense et sécurité en France et en Europe ».
(BO spécial n° 1 du 6 février 2020)
Programme de Terminale professionnelle
- ThÚme 2 : « Vivre en France en démocratie depuis 1945, » sous-thÚme 2 : « Une République stabilisée et renouvelée pour une société en mutation ».
(BO spécial n° 1 du 6 février 2020)
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Objectifs pédagogiques
La DĂ©fense nationale peut se dĂ©finir comme lâensemble des mesures prises par un pays pour assurer la sĂ©curitĂ© de son territoire, de sa population et de ses intĂ©rĂȘts contre toutes les formes dâagression. Selon le Livre blanc « DĂ©fense et sĂ©curitĂ© nationale » de 2013, cette stratĂ©gie repose sur trois Ă©lĂ©ments : la protection, la dissuasion et lâintervention. A bien des Ă©gards, au moins pour les deux premiers termes du triptyque, il sâagit lĂ dâun hĂ©ritage du gĂ©nĂ©ral de Gaulle. Les documents ici proposĂ©s permettent de mettre en Ă©vidence cette pensĂ©e gaullienne dans sa continuitĂ©, en insistant particuliĂšrement sur la dissuasion nuclĂ©aire.
Introduction
La conception gaullienne de la dĂ©fense nationale ne dĂ©bute Ă©videmment pas avec la Ve RĂ©publique. Pour Charles de Gaulle, militaire de carriĂšre, combattant de la PremiĂšre Guerre mondiale et de la Seconde Guerre mondiale, assurer la dĂ©fense de la France est le fil conducteur de sa pensĂ©e et de ses engagements. Il sâagit donc dâidentifier ici sa dĂ©finition de la dĂ©fense nationale dans la mesure oĂč, selon lui, « « il n’y a pas de talent ni de gĂ©nie militaire qui n’aient servi une vaste politique. Il n’y a pas de grande gloire d’homme d’Ătat que n’ait dorĂ©e l’Ă©clat de la DĂ©fense Nationale. » (Le fil de lâĂ©pĂ©e, 1932).
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Problématique
Comment sâexpriment les idĂ©es fondamentales du gĂ©nĂ©ral de Gaulle en matiĂšre de dĂ©fense nationale ?
Démarche pédagogique
La démarche ici proposée a été pensée pour le niveau terminale générale, enseignement de spécialité HGGSP.
Lien des documents avec le thÚme étudié
DĂšs lâentre-deux-guerres, Charles de Gaulle se veut un thĂ©oricien des questions militaires. Dans les quatre ouvrages Ă©crits, ainsi que dans divers articles (document 1), elles tiennent une place essentielle. Il y exprime notamment sa vision de lâarticulation entre le politique et le soldat, donc de la DĂ©fense nationale en France. Entre 1944 et 1946, dans le cadre du GPRF, il va mettre en Ćuvre, en partie, sa rĂ©organisation. Cela passe par exemple par la crĂ©ation du CEA (document 2). Il faut toutefois attendre son retour au pouvoir en 1958 et la fondation de la Ve RĂ©publique pour que le gĂ©nĂ©ral de Gaulle, devenu prĂ©sident, mette pleinement en Ćuvre son dessein (document 3). Cette pensĂ©e gaullienne de la DĂ©fense nationale trouve son aboutissement Ă la fois dans la bombe atomique (document 4) et dans la place quâil dĂ©signe Ă la France dans le contexte de la guerre froide, et plus particuliĂšrement celui de lâOTAN (document 5).
 Mises en activitĂ© envisagĂ©es et compĂ©tences testĂ©es, consignes, modalitĂ©s dâorganisation, production attendue
 Ce sujet peut ĂȘtre lâoccasion de travailler la capacitĂ© « Conduire une dĂ©marche historique », et plus prĂ©cisĂ©ment « Justifier une interprĂ©tation ». Cette mise en activitĂ© peut sâapprĂ©hender en trois temps.
Tout dâabord, selon la progression des apprentissages et le moment de lâannĂ©e, on peut envisager un premier temps qui serait un prĂ©lĂšvement dâinformations dans les diffĂ©rents documents.
Puis, quand les informations ont Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©es, on peut mettre en Ćuvre un travail de catĂ©gorisation sous la forme dâun tableau synoptique Ă double entrĂ©e. On peut mĂȘme, au regard du niveau des Ă©lĂšves, se passer de lâĂ©tape initiale.
Enfin, on demande aux élÚves de rédiger un texte argumenté qui répond à la consigne suivante.
A lâaide des documents et de vos connaissances, dĂ©montrez lâaffirmation suivante : « Câest la dĂ©fense qui justifie lâEtat, lui-mĂȘme doit mener une politique qui garantisse lâindĂ©pendance de la nation. Toute lâaction du gĂ©nĂ©ral de Gaulle dĂ©coule de cette idĂ©e fondamentale » (Pierre Messmer, 2003).
Ressources complémentaires :
Bibliographie
– Julian Jackson, De Gaulle, Une certaine idĂ©e de la France, Seuil, 2018.
– Mathieu Gabella, Christophe Regnault, Michael Malatini, FrĂ©dĂ©rique Neau-Dufour, De Gaulle, Tome 3, Paris, Editions GlĂ©nat, 2020.
– Actes de colloque dâun sĂ©minaire organisĂ© par la Fondation Charles de Gaulle, DĂ©fendre la France. LâhĂ©ritage de De Gaulle Ă la lumiĂšre des enjeux actuels, Editions du Nouveau monde & MinistĂšre des ArmĂ©es, 2020.
– Revue Espoir : La DĂ©fense (1Ăšre partie), n°93, septembre 1993.
– Revue Espoir : La DĂ©fense (2Ăšme partie), n°94, dĂ©cembre 1993.
– Revue Espoir : LâĆuvre militaire du gĂ©nĂ©ral de Gaulle, n°137, dĂ©cembre 2003.
Sitographie
https://rdv-histoire.com/programme/de-gaulle-gouverner-un-modele
Article de Tristan LECOQ
10 novembre 2020
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De Gaulle
Un modĂšle de gouvernement
Lâorganisation de la dĂ©fense nationale
Bayeux, le 14 juin 1952. « La dĂ©fense ! Câest la premiĂšre raison dâĂȘtre de lâEtat. Il nây saurait manquer sans se dĂ©truire lui-mĂȘme »[1].
La mise en ordre de la façon dont notre pays se dĂ©fend dans les annĂ©es soixante dĂ©coule, pour lâessentiel, de lâordonnance de 1959 et des dĂ©crets des annĂ©es 1960-1961. Le contexte est connu : une menace majeure, massive, militaire et mondiale, Ă nos frontiĂšres. Un acteur essentiel et quasi-unique : lâEtat. Une approche qui ne sâeffectue plus armĂ©e par armĂ©e, mais par attributions ministĂ©rielles : aux ArmĂ©es, la dĂ©fense militaire ; Ă lâIntĂ©rieur, la dĂ©fense civile ; Ă lâEconomie, la dĂ©fense Ă©conomique. LâunitĂ© du tout est assurĂ©e par le Gouvernement, sous lâautoritĂ© du PrĂ©sident de la RĂ©publique, Chef de lâEtat, Chef des ArmĂ©es.
Lâorganisation de la dĂ©fense nationale, un des premiers chantiers auxquels le GĂ©nĂ©ral se consacre dĂšs son retour au pouvoir, se prĂ©sente comme un modĂšle de gouvernement en la matiĂšre, et pour longtemps. On examinera successivement les principes et la construction dâun modĂšle dâorganisation de la dĂ©fense et de la sĂ©curitĂ© nationale voulu par le fondateur de la VĂšme RĂ©publique, et sa postĂ©ritĂ© jusquâĂ nos jours.
- lâorganisation de la dĂ©fense nationale reprĂ©sente pour De Gaulle lâaboutissement dâune rĂ©flexion longue initiĂ©e dans les annĂ©es trente et nourrie par des textes conçus et rĂ©digĂ©s parfois par le GĂ©nĂ©ral lui-mĂȘme. On sait lâimportance, lâanciennetĂ© et la maturitĂ© des analyses de De Gaulle en la matiĂšre, alors quâil est lâun des chefs de service du SecrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral permanent de la dĂ©fense nationale, de 1932 Ă 1937. Dâavoir Ă©tĂ©, pendant les cinq annĂ©es qui prĂ©cĂšdent, au cĆur de ce chantier que la guerre arrĂȘtera, en septembre 1939, reprĂ©sente un Ă©lĂ©ment important de la construction de la culture administrative, militaire et politique du GĂ©nĂ©ral.
Depuis le dĂ©but du XXĂšme siĂšcle sont pris en compte, au plus haut niveau dans la RĂ©publique, lâensemble des intĂ©rĂȘts de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ© du pays. Câest ce quâentendit traduire la loi du 11 juillet 1938, dont le travail de prĂ©paration avait Ă©tĂ© une des missions du lieutenant-colonel de Gaulle et dont lâapplication fut contrariĂ©e par lâentrĂ©e en guerre de la France, le 3 septembre 1939. Dans le contexte de la fin des annĂ©es cinquante, une diffĂ©renciation progressive se fit jour entre la prĂ©paration, la mise en condition et lâemploi de la force armĂ©e â câest la mission de lâEtat-major des [forces] armĂ©es (EMA) du ministĂšre de la dĂ©fense â et la coordination interministĂ©rielle en matiĂšre de dĂ©fense et de sĂ©curité : câest la mission du SecrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral de la dĂ©fense nationale (SGDN), service du Premier ministre.
Câest chose faite en 1962, au lendemain de la guerre en AlgĂ©rie. Le choix des termes, du contenant et des contenus nâest pas indiffĂ©rent. Les termes, en premier lieu : le qualificatif de « nationale » appliquĂ© Ă la dĂ©fense ne doit pas se comprendre en raison de lâappartenance Ă la communautĂ© nationale ; si celle-ci reste bien vivante, dâautres cercles dâexpression de la volontĂ© gĂ©nĂ©rale sont apparus dans ce domaine, au premier rang desquels lâAlliance atlantique.
Qualifier une institution de « nationale » signifie Ă la fois permanence des obligations qui sây attachent et continuitĂ© de lâEtat, des populations, du territoire. Il y a lĂ une mission de premier rang.
Lâorganisation de la dĂ©fense de la France voulue et mise en place par le gĂ©nĂ©ral de Gaulle est aussi une consĂ©quence de lâ « étrange dĂ©faite » de juin 1940 et de la conscience que celle-ci, pour une bonne part, rĂ©sulte dâun grave dĂ©faut dâarchitecture gouvernementale et militaire[2], et de lâĂ©chec de la dĂ©fense des frontiĂšres dont la matĂ©rialisation la plus achevĂ©e, sinon la plus excessive fut la ligne Maginot. Sây ajoutent une forme de subordination opĂ©rationnelle Ă lâĂ©gard des AlliĂ©s de lâArmĂ©e française reconstruite entre 1943 et 1945[3] et lâimpuissance de lâArmĂ©e sous la IVĂšme rĂ©publique, qui conduit Ă en faire lâinstrument malheureux des guerres dâIndochine et dâAlgĂ©rie, laquelle sâachĂšve avec la crise algĂ©rienne de la RĂ©publique française.
Ne nous y trompons cependant pas. Ce qui change fondamentalement la donne, dans les annĂ©es soixante, câest la force de frappe et la dissuasion : Mirage IV, missiles du plateau dâAlbion, sous-marins nuclĂ©aires lanceurs dâengins. Il nâest plus question, dĂšs ces annĂ©es-lĂ , de politique « navale », ou de lâarmement terrestre, ou bien encore aĂ©rienne dans lâesprit du gĂ©nĂ©ral de Gaulle, mais dâune seule et unique politique de dĂ©fense, arrĂȘtĂ©e au plus haut niveau de lâEtat et par son Chef. La dissuasion, câest lâindĂ©pendance nationale. Le nuclĂ©aire, câest la derniĂšre des armes, aux mains du premier des Français[4].
Câest dans ce cadre et pour confĂ©rer une cohĂ©rence dâensemble Ă la politique de dĂ©fense nationale de la France quâil faut resituer et restituer la volontĂ© du GĂ©nĂ©ral de doter lâArmĂ©e de Terre, la Marine nationale et lâArmĂ©e de lâAir des matĂ©riels les plus modernes, dans le cadre de lois de programmation pluriannuelles dont les engagements budgĂ©taires seront respectĂ©s durant sa prĂ©sidence, confĂ©rant ainsi et de surcroĂźt, Ă lâindustrie dâarmement française des vues sur lâavant, une assurance pour investir, une base pour exporter[5].
Câest dans ce contexte quâil dĂ©cide que le 7 mars 1966, les troupes de lâOTAN qui stationnent en France devront lâavoir quittĂ©e, comme les militaires français auront quittĂ©, au mĂȘme moment, les organismes de planification intĂ©grĂ©s de cette organisation. Il aura mis huit ans pour y parvenir, sans pour autant cesser dâĂȘtre, pour les Etats-Unis et nos AlliĂ©s, dans le cadre de lâAlliance atlantique, le plus sĂ»r soutien dans les crises majeures des annĂ©es soixante, comme Cuba ou Berlin[6].
Tout se tient donc : le gĂ©nĂ©ral de Gaulle met en place un Etat fort et respectĂ©, des institutions solides et stables, un outil militaire efficace et dissuasif, qui garantissent pour trente ans lâindĂ©pendance nationale, le rang de puissance de la France, une place singuliĂšre au plan politique et militaire.
Cette approche est Ă©noncĂ©e et en quelque sorte silicifiĂ©e par le Livre blanc sur la dĂ©fense nationale de 1972, auquel Michel DebrĂ©, ministre dâEtat et ministre de la dĂ©fense nationale, apporte la lĂ©gitimitĂ© et la tonalitĂ© de celui qui sâestime et qui se pose comme le dĂ©positaire de la pensĂ©e et de lâaction du gĂ©nĂ©ral de Gaulle en matiĂšre de dĂ©fense[7]. La dĂ©fense, câest la dĂ©fense des frontiĂšres de la France, et le respect de ses engagements.
- Quâen est-il, aujourdâhui, de lâorganisation de la dĂ©fense et de la sĂ©curitĂ© nationale, soixante ans aprĂšs ces grands textes fondateurs, vingt-cinq ans aprĂšs le Livre blancde 1994, et depuis ceux de 2008 et 2013, pour aboutir Ă la Revue stratĂ©gique de 2017 ? Le cadre, le contexte, et les acteurs de la dĂ©fense et de la sĂ©curitĂ© connaissent des transformations majeures, surtout depuis une vingtaine dâannĂ©es. Lâarchitecture française de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ© sâest renouvelĂ©e en profondeur et la mobilisation face aux crises, intĂ©rieures et extĂ©rieures, fait Ă©merger une nouvelle culture de gouvernement.
Les principes sur lesquels repose la conduite dâune politique publique de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ© ont connu des inflexions fortes. Une sĂ©rie de textes, plus ou moins contraints par le contexte politique de leur rĂ©daction, en sont le tĂ©moignage : les Livres blancs de 1972, 1994, 2008, 2013 et la Revue stratĂ©gique de 2017[8], les rapports annexĂ©s aux lois de programmation militaires, les interventions du PrĂ©sident de la RĂ©publique et du Premier ministre devant lâInstitut des hautes Ă©tudes de la dĂ©fense nationale et Ă lâEcole de guerre, les dĂ©bats au Parlement, pour se limiter Ă ces exercices publics.
En 1972, le ministre de la dĂ©fense Michel DebrĂ© avait dĂ©cidĂ© d’un Livre blanc sur la dĂ©fense nationale. En 1994, c’est un Livre blanc sur la dĂ©fense qui avait marquĂ© la sortie, pour nos armĂ©es, du contexte de la Guerre froide. En 2008 comme en 2013, l’exercice voulu par le PrĂ©sident de la RĂ©publique aboutissait Ă un Livre blanc sur la dĂ©fense et la sĂ©curitĂ© nationale. De la dĂ©fense nationale Ă la dĂ©fense, puis Ă la dĂ©fense et Ă la sĂ©curitĂ© nationale : il y a lĂ une Ă©volution porteuse de sens.
1972, c’est la premiĂšre patrouille du Redoutable. Ce sont les derniĂšres adaptations de notre ArmĂ©e de terre, dix ans aprĂšs la fin de la guerre d’AlgĂ©rie. C’est la rĂ©novation de notre flotte de surface. C’est une ArmĂ©e de l’Air nouvelle, dont les matĂ©riels font la fiertĂ© du pays. Le Livre blanc de Michel DebrĂ© est une rĂ©flexion « à froid » de gardiens vigilants du dogme gaulliste de l’indĂ©pendance nationale.
1994, c’est la fin d’une menace massive, militaire, mondiale. Câest le temps des Balkans et de lâIrak, dans un contexte de dĂ©structuration des organisations collectives internationales. C’est la guerre sur notre continent et la situation mouvante du Proche et du Moyen Orient. Ce sont des adversaires possibles, divers et diffĂ©rents, et des conditions d’engagement incertaines. Une rĂ©flexion « à chaud », encore marquĂ©e par les concepts, le cadre et le contexte de la Guerre froide.
L’Ă©bauche de nouvelles solidaritĂ©s, entre les Etats-Unis, l’Alliance atlantique, et l’ONU. Des inflexions importantes Ă notre politique de dĂ©fense : la mobilitĂ©, le renseignement, la planification, la formation et les opĂ©rations interarmĂ©es. Un nouvel Ă©quilibre entre la dissuasion et l’action.
En 2008 et en 2013, comme en 2017 c’est un changement de nature de notre dĂ©fense et de notre sĂ©curitĂ©, avec la menace Ă nouveau mortelle et permanente, mais autre, du terrorisme et des Etats qui lui seraient liĂ©s. Avec celle, diffĂ©rente mais tout aussi dangereuse des armes de destruction massive. Avec une mobilisation quasi-permanente face aux « crises en chaĂźne » qui affectent la sĂ©curitĂ© nationale. La professionnalisation, l’autonomie stratĂ©gique, la continuitĂ© entre sĂ©curitĂ© intĂ©rieure et sĂ©curitĂ© extĂ©rieure. Les engagements et les interventions de plus en plus nombreux de la France dans des alliances ou des opĂ©rations qui ne sont pas de circonstance y rĂ©pondent, dans une Europe de la dĂ©fense en construction, en Afghanistan ou en Libye, en Afrique et dans lâest de la MĂ©diterranĂ©e[9].
Il nâempĂȘche : le systĂšme français de gouvernement en matiĂšre de dĂ©fense nationale repose toujours, sous la VĂšme rĂ©publique et depuis le gĂ©nĂ©ral de Gaulle, sur une dyarchie inĂ©galitaire au profit du PrĂ©sident de la RĂ©publique. Lâadministration des sommets de lâEtat en dĂ©coule, au moins partiellement, avec dans le cas de la dĂ©fense et de la sĂ©curitĂ© nationale un primat politique net du PrĂ©sident, un primat administratif fort du Premier ministre, un ministre qui est et qui nâest que « des ArmĂ©es ».
Lâessentiel rĂ©side en effet, en matiĂšre de gouvernement de la dĂ©fense nationale, dans le respect de la dialectique des lĂ©gitimitĂ©s : le politique et lâadministratif, le civil et le militaire, la conception et la mise en Ćuvre doivent demeurer « sĂ©parables mais non sĂ©parĂ©s », comme on a pu le dire des forces françaises au sein de lâAlliance atlantique de 1966 Ă 2009. Câest reconnaĂźtre que le caractĂšre essentiel du « prĂ©-politique » : prĂ©parer et suivre lâexĂ©cution des dĂ©cisions, câest-Ă -dire tout, sauf prendre la dĂ©cision elle-mĂȘme suppose, comme le disent les militaires, de se situer « à la poignĂ©e de lâĂ©ventail ». Le dernier mot revient toujours au politique, câest-Ă -dire au PrĂ©sident de la RĂ©publique.
LâĂ©volution du cadre, du contexte et des acteurs de la dĂ©fense et de la sĂ©curitĂ© nationale a cependant pour consĂ©quence la dĂ©finition, progressive et en lâĂ©tat achevĂ©e, dâune nouvelle organisation en la matiĂšre. La multiplication des crises, intĂ©rieures et extĂ©rieures, depuis un peu moins de vingt ans est lâoccasion dâune rĂ©flexion sur les capacitĂ©s de notre systĂšme Ă y faire face. Comment gouverner par gros temps ?
En 1951, Raymond Aron Ă©crit Les guerres en chaĂźne. Nicolas Baverez en fera un commentaire inspirĂ© dans la biographie quâil consacrera, en 1993, Ă lâĂ©crivain[10]. La guerre vue par Aron, câest le dynamisme de la violence, câest la transformation de lâoutil militaire, ce sont les rencontres contingentes des acteurs, de lâhistoire et de leurs erreurs.
PrĂšs de soixante-dix ans plus tard, nous sommes passĂ©s des « guerres en chaĂźne » aux « crises en chaĂźne », Ă lâintĂ©rieur et Ă lâextĂ©rieur du territoire. LâEtat doit donc renforcer les fonctions de veille, dâalerte et dâexpertise, et mettre en place les chaĂźnes dâinformation et de commandement adĂ©quates, dans un double contexte. LâEtat nâest plus en mesure de faire face, seul, toujours et en tous lieux et en lâĂ©tat, Ă toutes les crises, dâune part.
Il joue cependant sa crĂ©dibilitĂ© Ă chaque crise, sous le regard dâune opinion publique qui exige des rĂ©ponses immĂ©diates et efficaces. Comme les crises se dĂ©roulent, dĂ©sormais, en chaĂźne, les acteurs le sont aussi : du local Ă lâeuropĂ©en et Ă lâinternational.
En mĂȘme temps, lâintĂ©rĂȘt collectif ne sâincarne plus uniquement, spontanĂ©ment, nĂ©cessairement, dans lâEtat-nation. Autant dire quâune nouvelle culture de gouvernement Ă©merge, plus contractuelle, plus partenariale, plus globale.
DâoĂč la rĂ©forme de la planification nationale de sĂ©curitĂ©, et celle de la fonction « protection » dans les armĂ©es. Naturellement, ces Ă©volutions majeures et inachevĂ©es ont des consĂ©quences qui concernent au premier chef les militaires, mais qui les dĂ©passent Ă bien des Ă©gards. Sâils Ă©taient, hier, les premiers dans la dĂ©fense, et le plus souvent les seuls, ils ne sont plus quâun Ă©lĂ©ment parmi dâautres dans la sĂ©curité : Ă lâimage de lâEtat lui-mĂȘme ! Si la dĂ©fense globale plaçait les armĂ©es Ă la tĂȘte du systĂšme, le reste suivant et alimentant la mobilisation gĂ©nĂ©rale, le dĂ©placement des lignes de la dĂ©fense militaire Ă la sĂ©curitĂ© nationale fait que tout ne tourne plus autour de la fonction militaire, ni mĂȘme de lâaction militaire.
Une nouvelle dimension de lâorganisation de la sĂ©curitĂ© nationale Ă©merge bien, Ă un moment oĂč trois difficultĂ©s se confirment, auxquelles tous les responsables publics devront faire face. Nos concitoyens demandent tout, autant et quelque fois plus Ă une puissance publique, Ă un Etat qui nâest plus quâun primus inter pares au milieu de ses partenaires. Ils supportent de plus en plus mal la contrainte, dimension dĂ©sormais historique du comportement de lâEtat. Ils mettent en cause, directement, collectivement et individuellement, les responsables de lâaction publique.
La mission « gaullienne » de sĂ©curitĂ© nationale, câest Ă dire la continuitĂ© et la permanence, suppose une organisation qui rassemble tous les acteurs, dans la durĂ©e, autour dâun mĂȘme objectif, une polyvalence des missions, autour de la continuitĂ© de la vie nationale et une Ă©valuation de leurs rĂ©sultats, un partenariat dans les comportements, autour dâun Etat stratĂšge.
Avec une interrogation finale : combien de temps faudra-t-il pour passer dâune Ă©poque Ă une autre, dâun systĂšme Ă un autre, dâune logique Ă une autre ? De la trilogie intĂ©rĂȘts vitaux – Etat souverain – dissuasion nuclĂ©aire, au triptyque infrastructures vitales – acteurs en chaĂźne – continuitĂ© de la vie nationale ? Avec quels moyens Ă mettre en Ćuvre, et quels rĂ©sultats Ă atteindre ? Rien ne se fera, probablement, aussi vite. Mais souvenons-nous cependant du gĂ©nĂ©ral de Gaulle qui, Ă la fin de sa vie, disait que « Puisque tout recommence toujours, ce que jâai fait sera, tĂŽt ou tard, une source dâardeurs nouvelles aprĂšs que jâaurai disparu »[11].
Tristan Lecoq
Inspecteur gĂ©nĂ©ral (histoire – gĂ©ographie)
Professeur des universités associé (histoire militaire et maritime contemporaine)
FacultĂ© des Lettres de lâUniversitĂ© de la Sorbonne
                                                 Â
[1] Charles de Gaulle, Discours et messages t. 2 « Dans lâattente 1946-1958 », Paris, Plon 1970 p.527.
[2] Marc Bloch, LâĂ©trange dĂ©faite, Paris, Albin Michel 1957.
[3] Tristan Lecoq « Refaire lâArmĂ©e française (1943-1945). Lâoutil militaire, lâinstrument politique, le contrĂŽle opĂ©rationnel » in Guerres mondiales et conflits contemporains numĂ©ro 257 Paris, Presses universitaires de France, avril 2015.
[4] Maurice VaĂŻsse, La France et lâatome. Etudes dâhistoire nuclĂ©aire, Bruxelles, Bruylant 1994.
[5] Maurice VaĂŻsse (dir.), Armement et VĂšme RĂ©publique. Fin des annĂ©es 1950 – fin des annĂ©es 1960, Paris, CNRS Ă©ditions, 2002.
[6] Maurice VaĂŻsse, Pierre MĂ©landri, FrĂ©dĂ©ric Bozo, La France et lâOTAN, Paris, AndrĂ© Versaille 2012.
[7] Livre blanc sur la défense nationale, Paris, CEDOCAR 1972 (tome 1) et 1973 (tome 2).
[8] Livre blanc sur la défense nationale Paris, CEDOCAR 1972 (tome 1) et 1973 (tome 2), Livre blanc sur la défense Paris, La documentation française, 1994, Défense et sécurité nationale. Le livre blanc Paris, Odile Jacob/La documentation française, 2008, Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale 2013 Paris, La documentation française, 2013, Revue stratégique de défense et de sécurité nationale 2017, Paris, DICoD, bureau des éditions, octobre 2017.
[9] Tristan Lecoq « France : de la défense des frontiÚres à la défense sans frontiÚres » in Questions internationales numéro 79-80, « Le réveil des frontiÚres » Paris, La Documentation française mai-août 2016.
[10] Nicolas Baverez Raymond Aron, Paris, Flammarion 1993, p 254 et suivantes
[11] Tristan Lecoq « Assurer la sĂ©curitĂ© de la nation : la question de lâorganisation de la dĂ©fense nationale » in Revue de dĂ©fense nationale numĂ©ro 829 Paris, avril 2020